Exégèses - L'affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité ? - 75

L'affaire Baby Loup ou la Nouvelle Laïcité
L'interdiction de la burqa à Strasbourg et le concept de discrimination
indirecte
L'affaire SASc. France, sur laquelle la grande chambre de la Cour européenne
des droits de l'homme s'est prononcée le 1er
juillet 2014, était
attendue à plus d'un titre.
La requérante est une ressortissante française née en 1990 et résidant en
France ; elle allègue une violation de ses droits (notamment art. 3 (prohibition
de la torture et des traitements inhumains et dégradants), art. 8
(droit au respect de la vie privée), art. 9 (liberté de religion), art. 10
(liberté d'expression), art. 11 (liberté de réunion) et art. 14 (droit à la
non-discrimination dès lors que l'interdiction discrimine sur le fondement
du sexe, de la religion et de l'origine ethnique)), par la loi du 11 octobre
2010 relative à l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace
public.
Musulmane pratiquante, elle déclare porter le niqab afin d'être en accord
avec sa foi, sa culture et ses convictions personnelles. Elle affirme ne faire
l'objet d'aucune pression en ce sens de son entourage, porter le niqab
aussi bien en public qu'en privé, mais pas de façon systématique, et comprendre
la nécessité de ne pas le porter en certaines circonstances. De
manière très intéressante, à en croire le communiqué de presse de la
Cour européenne des droits de l'homme sur cette affaire, la requérante
certifie que son objectif n'est nullement de créer de litige ou de désagrément
à autrui, mais d'être en accord avec elle-même.
L'arrêt rendu le 1er
juillet 2014 est très intéressant. Même si, en fin de
compte, il juge qu'il n'y a pas de violation des exigences européennes
en termes de droits de l'homme, il fourmille de réserves et de raisonnements
sévères à l'endroit du droit français. Il estime notamment que les
arguments, présents à la fois dans l'exposé des motifs de la loi de
2010 et dans la défense du gouvernement français, selon lesquels la
loi serait motivée principalement par des motifs de sécurité publique, ne
sont ni convaincants ni valables au regard de la Convention européenne
des droits de l'homme (§ 139). Il juge cependant que la préservation des
« conditions du vivre ensemble » constitue une restriction légitime à la
liberté religieuse protégée par l'article 9 de la Convention (§ 122),
dans une affaire où, estime la Cour, l'État doit se voir reconnaître une
ample marge d'appréciation (§ 155). Cette partie du raisonnement de
la Cour a suscité une intéressante opinion dissidente des juges
Nußberger et Jäderblom, qui font notamment valoir les dangers représentés
par un arrêt qui érige des valeurs abstraites (le « vivre ensemble ») en
restrictions possibles aux droits de l'homme. Gageons que la discussion
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