Contextes - Les blogs juridiques et les enjeux d'une dématérialisation de la doctrine - 228

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QUESTION DE POINT DE VUE

En effet, on ne trouve pas au Québec de billets d'humeur, de tribune libre
ou autres formats courts permettant à l'auteur de livrer, en quelques
colonnes seulement, une opinion, un point de vue à chaud. En outre,
l'exercice du commentaire de décision judiciaire, s'il existe bel et bien,
n'occupe pas la même place et n'exerce pas les mêmes fonctions qu'en
France26. Et si l'on trouve bien des commentaires critiques de décisions de
justice, ce n'est pas le genre le plus répandu. Ces commentaires prennent
plutôt place dans des chroniques de jurisprudence qui permettent de faire
ressortir de la masse jurisprudentielle les décisions d'intérêt et d'en résumer
la substance.
Le blog, par sa nature, a bien davantage vocation à accueillir la pensée
et les opinions critiques de son auteur. Le goût de la polémique, si cher
aux Français, peut trouver dans le blog un lieu d'expression privilégié,
notamment en raison de la grande audience que permet ce support, mais
aussi en raison de la fonction commentaire qui permet l'échange, le débat,
voire la controverse. Or, et c'est là affaire de différence culturelle, la doctrine
québécoise est probablement moins encline à la confrontation des opinions,
à la polémique entre experts. Les différences de point de vue qui peuvent
opposer les juristes québécois, ne font pas nécessairement l'objet d'une
mise en discours particulière dans les publications savantes.
De plus, on observe que la réactivité à l'actualité n'est de toute façon pas
favorisée par l'édition juridique traditionnelle. En effet, la périodicité des
publications juridiques dans lesquelles s'exprime la pensée des auteurs est
beaucoup moins importante qu'en France par exemple. Il n'existe aucune
revue juridique hebdomadaire ni même mensuelle. L'essentiel des revues
juridiques qui accueillent les travaux de la doctrine est constitué de revues
universitaires ou professionnelles (barreau et notariat) dont seulement
trois à quatre numéros paraissent chaque année. Le temps de la doctrine
québécoise est donc assez lent, ce qui favorise et explique la prédominance
d'études longues, résultats de recherches plus approfondies et souvent
fondamentales.
Toutes ces raisons suffisent-elles à condamner les blogs et à réduire la
blogosphère juridique à un petit cercle de juristes, initiés et technophiles,
convaincus de la valeur d'une doctrine juridique 2.0 ? Il nous semble que ces
obstacles et réticences ne sont pas insurmontables pourvu que les juristes
acceptent d'entrevoir tout le potentiel, précisément doctrinal, des blogs
juridiques. Cette conviction est d'ailleurs confortée par les récentes évolutions de la blogosphère juridique québécoise.
26. Les jugements des tribunaux, en particulier des tribunaux supérieurs, sont fort explicitement motivés et de manière suffisamment détaillée pour que la pensée du juge ne nécessite
pas un long exercice d'interprétation de la part de la doctrine.

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