Contextes - Les blogs juridiques et les enjeux d'une dématérialisation de la doctrine - 40

36 QUESTION DE STYLE : L'ÉCRITURE DU DROIT SUR LES BLOGS

Avant même les années 1820, les arrêtistes développent alors un nouveau
genre doctrinal, la « note d'arrêt », qui consiste en une brève analyse
critique d'une décision de justice, publiée au bas de celle-ci. Ces notes
sont l'occasion pour les arrêtistes de discourir librement sur l'espèce, sur
l'audience, sur les principes juridiques en cause, sur l'opinion des auteurs ou
encore sur l'actualité en lien avec l'arrêt. Les arrêtistes y exposent souvent
des opinions personnelles forgées par leurs expériences d'avocats, qu'ils
n'hésitent pas à opposer aux théories éthérées des auteurs de la doctrine.
Toutefois, cet exercice aux formes libres se codifiera dans la seconde moitié
du xixe siècle, lorsque l'École s'en emparera, sous la plume du professeur
Joseph-Emile Labbé d'abord28, puis sous celles des nombreux universitaires
qui investiront massivement les recueils d'arrêts à partir des années 1880.
Moins spontanée, moins praticienne, la note d'arrêt deviendra un exercice
doctrinal et structuré, où le discours universitaire prendra le pas sur le
discours du Palais.
Deux siècles plus tard, les blogs juridiques introduisent à leur tour une
rupture et une dynamique nouvelle dans l'écriture du droit.
D'une part, le blog est un moyen d'autopublication remarquable, en
marge d'un marché contraignant dominé par de grands groupes de presse.
Le parallèle avec les premiers arrêtistes est à nouveau frappant. En effet,
Sirey, Lebret de Saint-Martin ou encore Denevers commencèrent eux
aussi à publier et à diffuser de façon indépendante, voire « artisanale », les
premiers exemplaires de leurs journaux dans les couloirs mêmes du Palais.
D'autre part - et surtout - la facilité de publier de façon autonome et en
continu sur internet libère le blogueur des rythmes éditoriaux habituels et
des canons de l'écriture juridique.
Si l'accélération du temps juridique et judiciaire est aujourd'hui un lieu
commun, et si la presse a depuis longtemps introduit dans la littérature du
droit la culture de l'information et de l'actualité, les blogs transforment
le rapport au temps de façon au moins aussi profonde que le firent, à
leur l'époque, les premiers journaux juridiques. En effet, libre d'écrire
qu'il faut dévorer pour arriver à comprendre un Arrêt dont souvent on aurait pu donner
une juste idée dans un résumé de quelques lignes. On ne dit pas à ces fabricants d'articles :
- Travaillez à loisir, quel qu'ordre qui vous presse. Au contraire, on leur dit : - "Travaillez
à jour fixe, soyez prêts à la minute ; il faut que la feuille paraisse, bien ou mal remplie'' »,
A. Dupin, De la jurisprudence des arrêts, à l'usage de ceux qui les font, et de ceux qui les
citent, Beaudouin-Frères - imprimeurs libraires, Paris, 1822, p. 85-87.
28. Sur ce point, V° plus spécifiquement C. Jamin, « Relire Labbé et ses lecteurs », Archives
de Philosophie du Droit, tome 37, Droit et économie, 1992, p. 247-267. Sur Joseph-Emile
Labbé (1823-1894), nous nous permettons de renvoyer ici à la bibliographie complète
donnée par N. Hakim, « Labbé, Joseph-Emile », P. Arabeyre, J.-L. Halperin et J. Krynen
(dir.), Dictionnaire historique des juristes français, XIIe-XXe siècle, Quadrige, PUF, Paris,
2007, p. 441-442.

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