Contextes - Les blogs juridiques et les enjeux d'une dématérialisation de la doctrine - 74

70 QUESTION DE STYLE : L'ÉCRITURE DU DROIT SUR LES BLOGS

la matière juridique sous le label de « science » en devint plus épineuse,
induisant une interrogation sur le « savoir » dont le droit est l'objet2.
La tradition française a développé l'épistémologie principalement
comme une histoire des sciences. Il est cependant délicat d'aborder un
discours juridique comme on le ferait d'un corpus de recherches relevant
des sciences dites dures. Le problème de la connaissance juridique est en
effet que sa qualification en tant que « science » a pu être contestée. Ainsi,
les conditions de construction du positivisme par Kelsen lui-même révèlent
un obstacle épistémologique au sens de Bachelard en postulant la notion de
pureté comme empêchement à la remise en question de la théorie du droit3.
Par ailleurs, alors que la plupart des sciences se fondent sur une vérification
par l'expérience, il n'existe pas, à proprement parler, dans le champ du
droit, d'expérimentation uniquement dédiée à tester et à produire un savoir
juridique. Sauf à s'en tenir à une conception étroitement rationaliste, il ne
relève jamais de l'évidence de qualifier l'ensemble structuré des savoirs sur
les phénomènes et objets juridiques de « science du droit », plus sûrement
s'agit-il de doctrine, de « doctrine juridique »4.
C'est donc dans l'approche anglo-saxonne d'une gnoséologie, une théorie
de la connaissance en général, que l'éventualité d'un statut épistémologique des blogs juridiques peut être examinée. Cette position particulière
ne saurait pourtant s'abstraire du contexte, selon lequel poser une question
épistémologique, c'est entrer dans une logique d'analyse des critères de
scientificité de la connaissance du droit, comme de toute science humaine5.
« La science du droit prétend donc à une soi-disant impartialité dans
l'exercice de sa fonction cognitive relative au droit : mais comment ne pas
prendre parti en droit, alors que le droit, dans sa détermination vivante, s'est
toujours entièrement construit à partir des quaestiones, de la disputatio,
des conflits, des controverses, des argumentations sur le fond du droit »6.

2. C. Atias, Épistémologie juridique, PUF, coll. Droit fondamental, 1985 ; Épistémologie
juridique, Dalloz, Précis, 2002. V. aussi, P. Amselek, « La part de la science dans les activités
des juristes », D. 1997, chr. p. 341.
3. G. Bachelard, La formation de l'esprit scientifique, Paris, 1977 ; L. Habib, « L'impur
objet de la science du droit », Droits Revue française de théorie juridique, 1990, n° 11 :
Définir le droit, p. 100.
4. P. Jestaz, P. Jamin, La doctrine, Dalloz, 2004 ; v., aussi, E. Picard, « Science du droit
ou doctrine juridique », in L'unité du droit, Mélanges Drago, Paris, Economica, 1996,
p. 119. ; J. Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », Droit et Société, n° 50,
2002, p. 103.
5. J. Ladrière : « Les sciences humaines et le problème de la scientificité », Les études
philosophiques n° 2 : Le statut épistémologique des sciences humaines, 1978, p. 138.
6. E. Picard, « Science du droit ou doctrine juridique », Mélanges R. Drago, Economica,
1996, p. 143.
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