Contextes - Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? - 173

JuLIe BAILLeuX

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cette position très singulière qui fait de lui l'homme de la situation. D'une
part, contraint de réinvestir le monde académique au mitan de sa carrière,
il est, à la différence du second groupe de professeurs que l'on a évoqué
plus haut et que l'on pourrait qualifier de « dominants », disposé à inventer
au sein du champ juridique universitaire, une position nouvelle susceptible
de rectifier son déclassement accidentel et qui lui permette d'obtenir la
reconnaissance et les rétributions qu'il est objectivement en droit d'espérer.
D'autre part, et à la différence cette fois des membres du groupe de professeurs que l'on a qualifié de « marginaux », il dispose de ressources sociales et
symboliques, nationales et européennes, qui, si elles ne sont pas purement
scientifiques, n'en demeurent pas moins légitimes - ou, pour le moins,
efficaces - dans l'univers relativement hétéronomes des facultés de droit,
et en particulier au sein de la faculté de droit de Paris23.
on comprend dès lors que Pierre-Henri Teitgen, européiste convaincu24,
s'investisse dans la promotion de l'enseignement du droit communautaire
et qu'il tente, par ce biais, d'inventer une position à sa mesure. Incarnation
vivante de ce qu'est alors le droit communautaire - c'est-à-dire un droit
très politique, théorisé et mobilisé par des praticiens qui évoluent dans un
espace transnational encore faiblement objectivé - Pierre-Henri Teitgen
endosse alors le rôle de porte-parole en France de la « doctrine-maison »
élaborée par le Service juridique de la Commission et relayée avec constance
par la FIDe dont il est un membre éminent. Il est ainsi, plus ou moins
directement, à l'origine de la création, au milieu des années 1960, de trois
institutions qui constituent une première objectivation de l'existence d'une
question, ne disposant du surcroît de ressources légitimes nécessaires, ils ne peuvent accéder,
en son sein, aux positions de pouvoir prédéfinies.
23. Sur les relations privilégiées qu'entretiennent les membres des facultés de droit avec
le champ politique, voir G. Sacriste, Le droit de la République. Légitimation(s) de l'État
et construction du rôle de professeur de droit constitutionnel au début de la Troisième
République, thèse pour le doctorat en science politique, université Paris 1, 2002 ; et M. Milet,
Les professeurs de droit citoyens. Entre ordre juridique et espace public, contribution à l'étude
des interactions entre les débats et les engagements des juristes français (1914-1995), thèse
pour le doctorat en science politique, université Paris 2, 2000.
24. Proche des milieux fédéralistes et très actif au sein des Nouvelles équipes internationales, Pierre-Henri Teitgen participe au Congrès de La Haye en 1948 et s'investit dans
la mise en place du Mouvement européen au sein duquel il préside la Section juridique
internationale. Cet organe sera à l'origine d'un projet de Convention européenne des droits
de l'homme et d'un projet de statut pour une Cour européenne des droits de l'homme qui
aboutira en 1950 à la signature de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, texte auquel Pierre-Henri Teitgen a attaché son nom, non seulement
au titre de sa participation à la Section juridique internationale du Mouvement européen,
mais aussi en tant que rapporteur de la Commission juridique de l'Assemblée consultative
du Conseil de l'europe. Membre dès 1952 de l'Assemblée commune de la CeCA, il prend
fait et cause pour la CeD et pour le projet de Communauté politique européenne dont il
est l'un des inspirateurs.
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