Contextes - Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? - 253

RÉMY LIBCHABeR

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D'abord, il ne faut pas réduire le droit civil au Code civil, sous peine de
nous livrer à un constat banal que tous les anniversaires du Code ont réitéré.
Par rapport au modèle de 1804, les déperditions sont nombreuses, et des
codes entiers se sont constitués à la marge du grand ancêtre - comme si la
sève coulant de ses blessures était plus féconde que le tronc. Ce qui crée
le sentiment d'un dépérissement progressif, qui donne lieu à des déplorations rituelles. Pourtant, l'évolution du droit commercial, par exemple,
a bien montré que le phénomène de la décodification n'équivalait pas à un
épuisement de la matière elle-même4 : elle s'est épanouie en dépit du déclin
du Code qui lui était consacré, il est vrai mal conçu dès son origine. Pour
s'intéresser aux évolutions du droit civil, il convient de s'abstraire des
problèmes de la codification - qui forment un objet d'étude en soi.
La deuxième précaution à prendre consiste à ne pas idéaliser le droit
civil, en le réduisant à une sévère méthode intellectuelle, qui serait faite
d'équité et de recherche du juste - sur le modèle du droit naturel antique.
C'est là sans doute une approche très flatteuse pour les civilistes, qui
s'instituent spécialistes d'une conception forte de la justice, et détenteurs
d'une expertise d'autant plus précieuse qu'elle leur serait propre. Pourquoi
cette recherche relèverait-elle du droit civil, à l'exclusion de tous les autres
domaines du droit ? C'est dans son ensemble que ce dernier doit entretenir des liens privilégiés avec la justice, si l'on considère ce critère comme
caractéristique. en toute rigueur, il n'y a pas de raisons que le droit civil
incarne cette recherche de justice de façon préférentielle, voire exclusive5.
La dernière précaution à prendre consiste à essayer de nous déprendre
d'une mentalité obsidionale ! Il importe de comprendre la cohérence d'une
matière, sans devoir mêler nos pleurs à l'étude. Certes, les spécialistes ont
des raisons d'être amers en constatant la dévalorisation progressive de
leur matière. Il importe cependant de problématiser la question, ce qui la
fait apparaître sous un jour tout autre. Faisons volontiers l'inventaire des
territoires perdus : des contrats particuliers sont sortis du giron civil pour
devenir autant de disciplines séparées : droits des sociétés, du travail, des
assurances, des transports... Pour satisfaire notre masochisme, ajoutons-y
le compte des thèmes progressivement infectés par des problématiques non
juridiques : la famille amalgame divers point de vue extérieurs, pour former

cette évolution, à très gros traits, v. G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, T. 1,
Paris 1956, n° 62 et 63, p. 30).
4. B. oppetit, « La décodification du droit commercial », Mél. R. Rodière, p. 197.
5. on prend ainsi quelques distances avec un article par ailleurs admirable, d'une tonalité
très pessimiste à laquelle on adhère néanmoins : Ph. Rémy, « Les civilistes français vont-ils
disparaître ? », Revue de droit McGill 1986, vol. 32, p. 152.

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