Contextes - Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? - 267

RÉMY LIBCHABeR

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en prenant d'ailleurs la citation à contresens32. Du coup, la réglementation
tend à s'orienter par réaction contre une supposée puissance, et se donne
pour objet principal, sinon exclusif, de protéger la partie faible. Du reste,
elle n'a même plus besoin de le faire de façon systématique : à défaut, les
juges s'en chargeront tant l'idéologie vengeresse leur convient !
Cette spécialisation se retrouve encore quand on se livre à de véritables
divisions au sein de l'humanité. Il n'y a pas encore de droit des femmes,
mais cela pourrait bien venir tant les études de genre y poussent33. en
revanche, il y a un droit de l'enfant, dont la réglementation a culminé dans
un principe contraire à l'esprit du droit civil traditionnel, celui de son
intérêt par nature supérieur34. Dans cette façon nouvelle de procéder, il
n'est plus question de concilier des droits que l'on préfère hiérarchiser,
comme s'il existait une échelle humaine, rétive à toute égalité de principe.
Il se pourrait d'ailleurs, au vu des tendances contemporaines, que le droit
s'adapte de façon différenciée aux âges de la vie, notamment quand ils
semblent appeler une réglementation spécifique. en quelque manière, le
droit des incapacités est déjà segmenté : la minorité appelle d'autres règles
que celles qui s'appliquent aux incapables majeurs. Sur ce modèle, on pourrait avoir une législation qui, par différentialisme de principe, finisse par
modeler ses contours sur chaque moment de la vie, sur chaque situation
sociale nouvelle - études, maladie, chômage, retraite... -, et perde de vue
que l'on peut aussi saisir l'individu en soi. on l'a d'ailleurs fait pendant
longtemps sans que la législation ait pu être considérée comme oppressive :
une certaine conception de la démocratie est à ce prix, aujourd'hui datée,
qui ne voyait dans la société que des individus égaux en droit.
32. La loi protectrice qu'invoque Lacordaire, c'est la loi divine. en l'occurrence, celle
du repos du 7e jour, et non pas la loi humaine qui est susceptible de ne pas le respecter, ce
qu'il dénonce vivement !
33. V. tout de même le travail précurseur de : F. Dekeuwer-Deffossez, Dictionnaire juridique. Droit des femmes, Dalloz, 1991.
34. L'intérêt supérieur de l'enfant semble avoir été pour la première fois posé par l'article 3
de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant (CIDe), du 20 novembre 1989.
Le premier alinéa énonce en effet : « dans toutes les décisions qui concernent les enfants,
qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant
doit être une considération primordiale ». À partir de la consécration de son effet direct, la
Cour de cassation a relayé cette exigence dans la jurisprudence de droit privé : « attendu que
dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être
une considération primordiale » (à partir de Cass. 1re civ., 18 mai 2005, n° 02-20.613, Bull. I,
n° 212, p. 180, D. 2005. 1909, note V. egéa, qui ouvre sur une longue lignée jurisprudentielle). Sans aller jusque-là, le législateur avait déjà sanctifié l'intérêt de l'enfant, quoiqu'il
ne fût pas encore considéré comme supérieur. Issu de la loi du 4 mars 2002, l'article 371-1
C. civ. énonce en effet : « l'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant
pour finalité l'intérêt de l'enfant » - mais pourquoi pas celui de la famille toute entière ?

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