Contextes - Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? - 269

RÉMY LIBCHABeR

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l'individu, des biens ou des liens. Toute règle de droit appliquée de façon
mécanique est susceptible de contrarier une idéologie fondée sur l'attention aux singularités de détail. Dans les grandes Déclarations de principes,
l'homme des droits de l'homme était un être abstrait. Dans la pratique de la
Cour, il est le plus souvent question d'un individu en situation, que l'on ne
doit jamais saisir ni traiter abstraitement. Sa politique consiste à estimer que
la règle la mieux suivie peut être un paravent destiné à éviter de prendre en
considération une situation par trop concrète : il s'agit en quelque manière
d'une machine de guerre contre l'idée de règle de droit, par nature générale
et abstraite, qui est le support d'une conception juridique qui a donné ses
plus beaux fruits dans le droit civil et le droit international privé.
Que la rigueur de la règle soit difficile à supporter, toute notre époque
le montre ; que l'on gagne à sortir de la règle pour entrer dans le monde des
appréciations concrètes, c'est une tout autre affaire. Longtemps, en droit
civil, le culte de la règle a protégé la France de l'arbitraire ; souhaitons que
l'abandon de telles considérations n'y ramène pas38.
***
Si l'on voulait réconcilier les deux mouvements qui portent atteinte
au vieux droit civil, il suffirait d'y considérer les tribulations actuelles de
l'animal. Celui qui fut longtemps un meuble, sous l'empire du Code civil
de 1804 comme des législations antérieures, a commencé une migration
dont on ne sait où elle le conduira. Aux termes du nouvel article 515-14,
issu de la loi n° 2015-177 du 16 février 201539 - « les animaux sont des êtres
vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les
animaux sont soumis au régime des biens » -, il semble bien que l'animal
ne doive plus être qualifié de meuble, sans pouvoir encore être considéré
comme une personne. Néanmoins, il a dorénavant acquis une place de

de la règle, mais de contrôler son adaptation à toutes les situations de détail protégées
par le droit européen, dans le cadre de son examen concret de toute situation. Il n'est pas
certain que le virage annoncé soit pris, ou doive se prendre : les auteurs prennent parfois
leur souhait pour des réalités (Ph. Jestaz, J.-P. Marguenaud et Ch. Jamin, « Révolution
tranquille à la Cour de cassation », D. 2014.2061). Mais quel serait le destin du droit civil,
traditionnellement entendu, dans une telle évolution ?
38. Dans le Mémorial de Ste-Hélène, Las cases cite la formule suivante de Napoléon :
« on ne peut échapper à l'arbitraire du juge qu'en se plaçant sous le despotisme de la loi »
(e. de Las cases, Mémorial de Sainte-Hélène, Chap. X, jeudi 3 octobre 1816). Cela aurait-il
cessé d'être exact ?
39. J.-P. Marguénaud, « une révolution théorique : l'extraction masquée des animaux de
la catégorie des biens », JCP 2015.305 ; N. Reboul, « Nos amis les animaux... sont désormais doués de sensibilité : un tournant et des tourments ! », D. 2015.573 ; Ph. Reigné, « Les
animaux et le Code civil », JCP 2015, act. p. 242.

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