Contextes - Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? - 280

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uNe DISCIPLINe PeRFoRMATIVe

de 1940 à 1944 et la tradition autoritaire française développe ses disciplines
(pas au sens du colloque) en deçà de la timide proclamation constitutionnelle des libertés, mais les professeurs de droit public, rejoints par
l'administration de l'Éducation nationale, hissent néanmoins le drapeau
des libertés pour caractériser le système tout entier.
Ceci, encore une fois, en 1954, moins de quinze ans après l'abdication
de la République et la mise en place d'un régime qui répudie ouvertement,
avec, hélas, le consentement de l'immense majorité des Français, ces libertés
que l'on brandit avec ostentation22, dix ans après la Libération.
Cela suggère une mise en parallèle avec l'invention, beaucoup plus
rapide, par le Conseil d'État, à la Libération, des principes généraux du
droit. Ceux-ci témoignent d'une volonté du Conseil d'État de refermer
la parenthèse de Vichy, de réaffirmer le caractère libéral de notre droit
à partir de son origine, en 1789. Comme le relève François ewald, « La
pratique des principes généraux du droit exprime une sorte de volonté de
la société de se lier à elle-même à travers sa propre histoire, son héritage,
son patrimoine juridique et constitutionnel. Inversement, on peut dire
qu'aujourd'hui, en l'absence d'une référence possible à la nature, c'est
à travers les principes généraux du droit que la société se déclare à ellemême ce qu'elle institue comme devant la lier à elle-même »23. Ces analyses
entrent clairement en résonance avec celles menées plus haut et avec les
citations qui les soutiennent. La dimension de l'énonciation devant s'y
rajouter : en se référant, à partir de 1944-1945, à des principes non écrits
auxquels il assujettit les autorités administratives, quelles qu'elles soient, le
Conseil d'État veut donner à voir son propre caractère d'institution libérale - il avait oublié de le faire durant la période précédente - et tente, ce
faisant, d'accréditer l'idée qu'il n'a jamais cessé d'être fidèle à cette image.
La dénégation du caractère créateur des principes généraux du droit (le
juge n'en serait pas véritablement l'auteur, il ne ferait que les « découvrir »,
latents dans notre système juridique, auquel ils sont censés conférer la
plénitude de son sens - d'un sens déjà là, en somme) permet tout à la fois
d'asseoir le pouvoir prétorien et de faire oublier des errements récents.
en se faisant les chantres des libertés publiques, les universitaires publicistes ne procèdent pas autrement. Georges Burdeau, auteur d'un manuel
22. Paul Claudel remarquait, à propos des manifestations patriotiques organisées pendant
la guerre de 1914-1918, pour en faire une irrévérencieuse comparaison avec les duos d'amour
à l'opéra, qu'« Il n'y a que deux choses à faire avec un drapeau : ou le brandir à bout de
bras ou le serrer avec passion contre son cœur. » Il ajoutait : « Quand ce double geste qui
n'a rien d'imprévu a été réalisé un certain nombre de fois, le public sent diminuer son
émotion. » (« Le drame et la musique », in Positions et propositions. P. Claudel, Œuvres en
prose, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1965, p. 144).
23. F. ewald, « une expérience foucaldienne : les principes généraux du droit », Critique,
n° 471-472, 1986, p. 788.

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