Contextes - Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? - 334

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par essence, il est atteint par la métamorphose de « la raison herméneutique »37 et le brouillage vertigineux des perspectives interne et externe,
subjective ou objective ; ses frontières mêmes par rapport au monde du fait
se brouillent ou se « liquéfient ». D'autre part, quoique puisant dans luimême son fondement, ses outils et son vocabulaire, il interagit néanmoins
avec d'autres systèmes sociaux et transforme les ressources venues de son
environnement38 ; la connaissance empirique de celui-ci s'avère donc nécessaire pour lui donner du sens. Tenu du côté des sciences et technologies
pour co-producteur de la vérité scientifique39, il se voit donc aspiré, le cas
échéant malgré lui, dans une contestation de la rationalité moderne qui
l'englobe et le dépasse.
Par ces diverses voies, la question des mutations du droit fait son entrée
dans le débat intellectuel sur la globalisation40. Les résistances sont fortes
parmi les juristes41, au point que leur avis est généralement tenu pour
indifférent dans les débats contemporains sur l'épistémologie des sciences
sociales. Voici quelque temps déjà que Michel Foucault observait que le
droit n'était pas parvenu à « couper la tête du roi », en ce sens qu'il ne
parvient toujours pas à penser en dehors de la souveraineté42. C'est que
le poids de la modernité empêche de penser la juridicité sans l'entremise
d'un ordre juridique étatique. en effet, si réorientation il y a dans la pensée
juridique, elle consiste surtout à élargir la théorie des sources du droit pour
englober la soft-law, à accueillir la proportionnalité comme méthode, ou
à observer la fragmentation des régimes spéciaux.

37. Par opposition à la raison critique. La pensée est-elle une aventure critique ou une
démarche interprétative ? v. sur la controverse entre Habermas et Gadamer, J.-M. Aguirre
oraa, « Raison critique ou raison herméneutique ? », Revue philosophique de Louvain 199,
p. 409-440.
38. V. en particulier, sur le thème de la spécialisation et la poussée autonomiste des
sous-systèmes sociaux, G. Teubner, « Breaking Frames : economic Globalisation and the
emergence of lex mercatoria », 5 European Journal of Social Theory (2002), 199-217.
39. V. S. Jasanoff, op. cit.
40. S. Moyn, A. Sartori, Global Intellectual History, Columbia, 2011.
41. Comp. aussi l'éloge du syllogisme par P.-Y. Gautier, préc.
42. « La fonction de l'intellectuel » (entretien avec Michel Foucault), Dits et Écrits, éd.
Gallimard, t. III, n° 192, p. 150 ; v. également, La volonté de savoir, Gallimard, 1976, p. 117.
C'est à propos de la théorie classique de la souveraineté que Foucault explique, dans son
dernier cours au Collège de France, que la théorie politique n'a pas encore réussi à couper
la tête du roi. Certes, le refus de franchir ce pas régicide, qu'il soit le fruit d'une réflexion
consciente ou d'un refoulement, n'a rien de neutre. C'est bien entendu exercer un choix que
de définir les structures politiques ou la juridicité en certains termes plutôt que d'autres - les
débats contemporains parmi les juristes internationalistes au sujet de la primauté du droit
de l'union, ou de l'incidence méthodologique de la proportionnalité, montrent bien que
la résistance à ces changements est une position éminemment politique.

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