Contextes - Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? - 76

Le ReGARD D'uNe JuRISTe Du COMMON LAW

et on parle bien du common law comme étant « judge-made law », mais
est-ce toujours vrai ?
Le juge ne détermine pas les matières, objet de droit, car découper les
matières distinctes ne relève ni de sa compétence, ni de sa fonction. en droit
anglais, on pourrait dire que le travail de théoriser et de systématiser le
droit, comme objet et matière, vient après le contentieux et non en amont.
C'est l'absence de systématisation préalable, qui rend la question de disciplines-matières moins significative, pour ne pas dire absente. Dès lors, on
peut constater, d'une part, que l'empreinte - doctrinale et théorique - sur la
matière du droit était relativement faible, au moins dans le passé32. D'autre
part, que cette empreinte vient historiquement des juristes (legal scholars)
qui étaient parfois praticiens (« barristers » et « solicitors »), parfois juges,
et enfin universitaires (dans cet ordre-là).
Deux illustrations, l'une relative au pouvoir institutionnel, l'autre
au rapport relationnel entre les acteurs juridiques étayent mon propos.
Premièrement, examinons le pouvoir institutionnel, c'est-à-dire le rapport
de force entre l'université et les professions juridiques, dont la double
nature est une des spécificités du droit anglais. N'oublions pas que dans
le passé et jusqu'aux années 1970, beaucoup de praticiens ne sont pas allés
à l'université. Ils ont appris à être juristes, à travers la pratique : leur apprentissage était plus pragmatique, concret et moins théorique33. Alors qu'il
est devenu la norme que les juristes obtiennent un diplôme universitaire,
l'héritage demeure, car on peut toujours devenir juriste même aujourd'hui,
après avoir acquis un diplôme universitaire dans une autre matière, sans
étudier le droit à l'université34. en effet, certains juristes apprennent le droit
plus tard, grâce à une année d'études intensives de conversion35. Puis, on
peut relever un changement important dans l'enseignement à l'université
dans les années 1990 quand on a déterminé les matières fondamentales
(nommées « core subjects »), qui sont devenues obligatoires dans le cursus
universitaire36. Toutefois, la pratique, institutionnellement puissante, a pu
32. Pour un contre-exemple du xxe siècle, voir infra.
33. V. W. Twining, Blackstone's Tower, préc., chapitre 2 « Law in the universities : the
historical context », p. 23-48.
34. V. H.L.A. Hart, « Philosophy of Law and Jurisprudence in Britain (1945-1952) »
2 American Journal of Comparative Law 1953, 355, spéc. p. 356. Hart était bien placé
pour en parler étant donné que ce parcours était le sien.
35. un diplômé d'une licence dans n'importe quelle discipline (Bachelor of Arts ou
Bachelor of Sciences) peut étudier une année à temps plein pour se convertir aux études de
droit, et obtenir le diplôme connu sous le nom de « Common Professional Exam » (CPe) ou
le « Gradual Diploma in Law » (GDL) et reconnu par la Law Society, l'ordre réglementant
les solicitors et le Bar Council réglementant les barristers.
36. Ces réformes ont fait l'objet de nombreuses critiques, v. par exemple, A. Bradney,
« Raising the Drawbridge : Defending university Law Schools, 1 Web Journal Current

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