Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 123

ÉPREUvES D'HISTOIRE

117

à décrire les catégories et pratiques des acteurs qu'elle observe. En seconde
analyse, cependant, elle doit ou peut les analyser pour :
- les rapporter au contexte dans lequel elles se situent et dévoiler les
croyances et stratégies de ces acteurs (la démarche est ici plus proprement
historienne et sociologique dans un sens classique ou trivial) ;
- faire apparaître les transformations et déplacements historiques de
ces catégories et pratiques (dans une perspective généalogique ou
contre-généalogique) ;
- ou en fouiller les strates et dimensions dans une perspective plus archéologique, au rythme d'une écriture qui, quoi qu'elle produise un récit,
laisse place aux discontinuités synchroniques et diachroniques.
De la contextualisation socio-historique du droit à l'histoire de la pensée
juridique, l'histoire du droit ajoute ses propres niveaux de discours à ceux
de son objet. Ce nouvel écart ne procède pas d'une illusoire opposition entre
théorie et pratique. Pour être abstraite, la dogmatique n'en est pas moins une
pratique historique et le plus humble praticien, demeure imprégné d'une
certaine idée du droit. Tout au contraire, cet écart résulte plutôt du souci de
rendre compte du droit comme un ensemble de pratiques historiquement
situées20, souci qui impose de nécessaires jeux d'échelles21. L'historien du
droit y est d'autant plus attentif qu'ils sont déjà présents dans le droit
lui-même. De même que la microstoria entend lier ensemble « l'histoire au
ras du sol » et l'histoire globale, de même le droit se saisit-il d'une « myriade
d'événements minuscules » pour les inscrire dans un ordre, celui, présent,
d'une communauté qui s'institue dans ce qu'elle voudrait être22. De ce que
le droit est à la fois présent objectif d'un discours normatif et projection
des situations présentes dans un devoir-être, il s'ensuit que l'attachement
minutieux aux pratiques des acteurs, à leurs pratiques de discours en particulier, ne se suffit pas davantage à elle-même que la position surplombante
de catégories anhistoriques. L'étude du droit est contrainte de jouer sans
cesse d'un double discours, celui portant sur le droit tel qu'il est et tel
qu'il veut être23. Tout d'abord parce que la position du chercheur ne peut
20. Au sens dégagé par B. Lepetit, « Histoire des pratiques, pratique de l'histoire », in
B. Lepetit (dir.), Les Formes de l'expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel,
coll. « L'évolution de l'humanité », 1995, p. 9-22.
21. J. Revel (dir.), Jeux d'échelles. La micro-analyse à l'expérience, Paris, Gallimard/
Seuil, coll. « Hautes études », 1996.
22. Selon les formules de J. Revel, « Micro-analyse et construction du social », ibid.,
p. 70-71, dans le prolongement de id., « L'histoire au ras du sol », présentation de G. Levi, Le
Pouvoir au village. Histoire d'un exorciste dans le Piémont du xviie siècle, Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque des histoires », 1989, p. I-XXXIII.
23. Comme l'affirmait déjà, dans un sens quelque peu différent, E. Lerminier,
Introduction générale à l'histoire du droit, seconde édition, Paris, Chamerot, 1835, p. 23 :
« Association de principes universels et de maximes nationales, d'axiomes rationnels et
Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne

Table des matières de la publication Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne
