Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 192

186

LES MÉTACONCEPTS

En revenant sur l'exercice du pouvoir législatif, on peut alors former
l'hypothèse suivante. Les États de la fin du Moyen Âge, auxquels l'Église
ressemble par bien des aspects, avaient des « règles constitutives » fondées
sur l'exercice de la justice en dernier ressort. Parce qu'une (ou plusieurs)
cours souveraine(s) pouvai(en)t reconnaître les normes juridiques intégrées
dans le système, juger en fonction de ces normes et éventuellement les
changer (par l'interprétation qui leur était donnée), les règles constitutives s'ordonnaient autour de la hiérarchie judiciaire, en laissant subsister
des justices subordonnées et des formes d'autonomie pour des structures
infra-étatiques.
L'État moderne consisterait lui dans l'avènement d'une véritable
hiérarchie des normes soumettant aux normes législatives de l'État toutes
les normes inférieures susceptibles d'être créées au sein de cet État. Dans
le cas de la France, la fin des grandes principautés territoriales, le déclin
des autonomies urbaines, la rédaction officielle des coutumes transformées
en lois homologuées par le roi, le développement d'une législation s'appliquant aussi à des questions de droit privé (par exemple, les dispositions des
ordonnances de 1510, art. 46 et 1539, art. 134 sur la rescision des contrats),
le triomphe de la doctrine gallicane (conditionnant à l'accord royal la
réception des normes de droit canonique dans le royaume et soumettant
les actes ecclésiastiques au respect du droit royal avec le développement de
l'appel comme d'abus41) seraient autant de manifestations de cette souveraineté législative soumettant toutes les normes générales et individuelles
aux lois royales. Dans le cas de l'Angleterre, la standardisation des chartes
accordées par le roi aux cités, boroughs et guildes au xviie siècle serait aussi
l'expression de cette mise en œuvre d'une hiérarchie des normes caractéristique de l'État moderne42. L'incapacité de l'Église à mettre ses règles
au-dessus de celles de puissances séculières, ou même d'ordres juridiques
inférieurs, illustrerait en sens contraire l'impossibilité de transformer le
droit canonique en un système juridique correspondant à un État moderne.
Cette hypothèse du passage d'une hiérarchie judiciaire (impliquant des
procès et des plaideurs, ce qui était aussi le cas pour le droit juif à l'intérieur de communautés personnelles et en l'absence de cour centrale43) à
une hiérarchie législative (concernant des territoires et les personnes en
fonction de leur résidence sur un territoire qui les soumet au souverain)
41. La Pragmatique Sanction de Bourges (1438) peut apparaître, de ce point de vue,
comme une des règles constitutives de l'État moderne en France.
42. M. Weinbaum, British Borough Charters, 1307-1660, Cambridge, Cambridge
University Press, 1943.
43. Avec l'exception déjà mentionnée du Conseil des quatre pays en Pologne, jusqu'à
son abolition en 1764 (une manifestation du passage d'une structure en communautés à
un État territorial).

Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne

Table des matières de la publication Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne