Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 216

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LES CONTROvERSES

objective ou bien à la loi morale naturelle, commença-t-elle à revêtir le sens
d'un droit naturel subjectif ? quel contexte culturel, quelles circonstances
historiques rendirent ce changement de paradigme acceptable ?3 Pour
Tierney, les deux questions sont en réalité inséparables, et il est convaincu
que la jurisprudence du xiie siècle a contribué à mettre en place le concept
de droits individuels. villey signalait lui aussi l'importance du xiie siècle,
mais pour des raisons inverses, y voyant au contraire la renaissance de la
notion réaliste de droit, à la faveur de la redécouverte du droit romain et
du développement de la jurisprudence4.
Jean Gaudemet avait évoqué cette problématique au cours d'un colloque
en 1966, où il parlait de l'équité et du droit chez Gratien et les premiers
décrétistes5. Concernant Gratien, Gaudemet ne voulut pas entrer dans
le débat6, mais il décela la présence d'une vision subjective du droit
dans la définition suivante du droit naturel chez Rufin : « vis quaedam
humanae creaturae a natura insita ad faciendum bonum cavendumque
contrarium »7. Une telle « vision psychologique et individualiste », ou
encore une « acception subjective du droit naturel », aurait été reprise par
Étienne de Tournai et Simon de Bisiniano : « Cette acception subjective
du droit naturel constitue une innovation importante qui sera amplement
reprise au xiiie siècle. Elle dépasse la conception romaine, aussi bien celle
3. « Origins of Natural Rights Language », op. cit., p. 46-47.
4. Pour une discussion récente des thèses de villey dans le cadre de la controverse avec
Tierney, voir A. Padovani, « Birth of a Legal Category: Subjective Rights », Divus Thomas,
2013, vol. 116, p. 37-55. Cet article permet de regrouper schématiquement les auteurs. En
faveur de la thèse de villey, on trouve : E. Cortese, « I diritti fondamentali della persona
negli ordinamenti medievali fino alle esperienze precodificatorie », in I diritti fondamentali
della persona umana e la libertà religiosa, Città del vaticano, 1985, p. 69-84 ; J. Finnis,
Natural Law and Natural Rights, 2e ed., Oxford ; New York, Oxford University Press,
2011 ; J. M. Kelly, A Short History of Western Legal Theory, Oxford, Oxford University
Press, 1992 ; P. Grossi, Il dominio e le cose. Percezioni medievali e moderne dei diritti
reali., Milan, Giuffrè, 1992 ; L. Parisoli, Volontarismo e diritto soggettivo. La nascita
medievale di una teoria dei diritti nella Scolastica francescana, Rome, Istituto Storico dei
Cappuccini, 1999. Ces auteurs sont au moins d'accord sur la chronologie proposée par
villey, mais pour des motifs parfois différents. En faveur des thèses de Tierney, on pourrait
au contraire citer : K. W. Nörr, « Zur Frage des subjektiven Rechts in der mittelalterlichen Rechtswissenschaft », in D. Medicus, H.-J. Mertens, K. W. Nörr, W. Zoellner
(dir.), Festschrift für Hermann Lange zum 70. Geburtstag am 24. Januar 1992, Stuttgart,
1992, p. 193-204 ; K. Pennington, The Prince and the Law, 1200-1600: Sovereignty and
Rights in the Western Legal Tradition, Berkeley (CA) ; Los Angeles (CA) ; Oxford (UK),
University of California Press, 1993 ; et dans un article postérieur à la publication du livre
de Tierney : « The History of Rights in Western Thought », Emory Law Journal, 1998,
vol. 47, p. 237-252.
5. « Équité et droit chez Gratien et les premiers décrétistes », in La formation du droit
canonique médiéval, 2e éd., London, variorum Reprints, 1980, p. 269-291.
6. Ibid., p. 271-272.
7. Ibid., p. 285-286. Il s'agit du commentaire de la Summa à D.1 s. v. humanum genus.

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