Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 24

PROLÉGOMèNES

autre. Un répertoire formel se dessine alors, dans lequel le juriste aura
tout le loisir de piocher pour résoudre les cas qu'on lui soumettra, soit
lors d'un exercice scolaire (quaestio disputatae), soit à l'occasion d'une
consultation tarifée (consilium). Ce travail de pioche possède bien un
caractère formel. En ceci l'allégation se distingue du syllogisme, il ne s'agit
pas seulement, comme pour un juriste contemporain, de trouver la bonne
source à appliquer. Il s'agit plutôt, pour « consolider » une source donnée,
d'y investir l'autorité formelle d'autres sources, par transmission littéraire
et « électrique » du sens, à l'intérieur de ce grand vase clos que représente
le corpus, et dont Accurse fait coïncider l'extension avec celle du monde
lui-même18.

IV - PERTINENCE CONCEPTUELLE
DU MODÈLE MÉDIÉVAL
voilà bien toute l'importance philosophique de cette culture médiévale
de l'abstraction juridique. Elle révèle une possibilité théorique remarquable :
plutôt que d'explorer les seules marges de la régularité normative, infraou contre-juridiques19, il s'agit de maintenir en intérêt pour les formes,
sans pour autant les référer à des « idées » juridiques. En effet les formes
n'émergent ici qu'à la surface d'opérations exégétiques, comme des objets
dont l'histoire permet de retracer la trajectoire. En détachant d'abord les
formes du système, en les étudiant ensuite par une méthode historique, on
formule bien une voie diagonale, qui retient du formalisme une attention
à la dimension dogmatique du travail juridique, sans négliger la portée
antisystématique de sa mise en œuvre casuistique.
Un paradoxe temporel résulte naturellement d'une telle tension. C'est
pourquoi il convient de parler de « temporalité multiple ». Les formes n'ont
pas un mais plusieurs registres de temporalité concomitants. Sans s'inscrire
de manière univoque dans l'éternité - comme on voudrait croire que le
font les dogmes, elles possèdent une capacité à survivre à leur premier
18. Sur le lien de l'adage « quod non est in textu juris non est in mundo » à la propension
d'Accurse, et avec lui de toute l'École de Bologne, à « ignorer complètement les éléments
étrangers au texte sacré avec lequel il travaillait », voir R. van Caenegem, « Law in the
Medieval World », Legal History : A European Perspective, Rio Grande (Ohio), The
Hambledon Press, 1991, p. 115-148, spéc. p. 124.
19. Je pense ici à l'étude juridique des normativités, qui a pu s'alimenter tour à tour à la
source de l'analyse foucaldienne des relations de pouvoir - voir P. Thévenin, « Los infortunios de la infrajuridicidad. El análisis de las normas de Michel Foucault a Yan Thomas »,
Glossae. European Journal of Legal History, 2014 - et à l'étude des « objets juridiques non
identifiés », aujourd'hui proposée par Benoît Frydman.

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