Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 34

LA NOTION D'ORDRE JURIDIqUE

il manifeste premièrement la recherche, quasi spontanée, d'un équilibre
dans les rapports entre les éléments formant une unité sociale pertinente.
En dernière analyse, l'originalité de l'essai du professeur Grossi tient
au fait que l'ordre juridique n'est pas pensé comme celui d'un État donné.
On ne pourrait donc pas comprendre la notion d'ordinamento giuridico
romano, comme synonyme d'ordre juridique de l'État romain, largo
sensu, par exemple. Il n'est pas suffisant de constater l'existence de normes
d'origine étatique encadrant, dans une certaine mesure, la vie juridique des
Romains, pour pouvoir affirmer l'existence d'un ordre juridique romain.
quoique son essai participe au mouvement de défense et d'illustration du
jus commune européen caractéristique d'une part notable de la médiévistique italienne depuis les années 193019, Paolo Grossi ne propose pas non
plus d'étudier l'ordre juridique des entités étatiques européennes, éventuellement dans leurs rapports réciproques. L'essai de Grossi se propose plutôt
d'étudier un ordre juridique caractéristique d'une période, le Moyen Âge. Il
n'élude pas la difficulté posée par le choix même de l'expression Moyen Âge,
pour désigner de manière hautaine, le millénaire d'un âge réputé obscur.
Non sans nuance, il soutient néanmoins l'existence d'un « continuum » du
ve au xve siècle. Ce continuum atteint selon lui à sa maturité lors de l'età
del diritto comune20. Il faut entendre par là le bas Moyen Âge, une fois
assimilé l'héritage de Justinien redécouvert dans son entièreté à la lumière
de l'aristotélisme de l'école.
On l'aura deviné, l'élément stable, substantiel, du continuum historique,
est constitué pour Paolo Grossi d'un héritage culturel et spirituel, l'héritage
gréco-latin christianisé21. La tradition de l'interpretatio juris constitue pour
ainsi dire le support de cette continuité en même temps que son enrichissement permanent et sa croissance organique22. Cette idée permet à Grossi
de rendre compte de plusieurs phénomènes. D'abord, l'influence à peu
près universelle du jus civile dans l'espace de l'Europe latine - jus civile
conçu comme le droit de l'empire romain chrétien. Pour autant, le bas
Moyen Âge du droit romain correspond surtout à une période de « déromanisation du jus civile »23 : il n'est plus tant perçu comme une législation
19. voir la synthèse critique que J.-L. Halpérin a propos de cette école : « L'approche
historique et la problématique du ius commune », Revue internationale de droit comparé,
t. 52, 2000/2, p. 717-731.
20. P. Grossi, op. cit., p. 10-11.
21. Ibid., p. 12 et 14.
22. Ibid., p. 14-15, 162-175. Il nous faut dire ici notre gratitude intellectuelle toute spéciale
à l'égard de Paolo Grossi pour ces pages si profondes et éclairantes.
23. L. Mayali, « Jus civile et jus commune dans la tradition juridique médiévale », in
J. Krynen (dir.), Droit romain, jus civile et droit français, Toulouse, PU Toulouse, 1999,
p. 207.

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