Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 38

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LA NOTION D'ORDRE JURIDIqUE

fin causale transcendante. La société politique, comme d'ailleurs pour toute
société - s'agirait-il de la société familiale - est envisagée comme ordonnée à
un bonum ordinis, qui est un bonum commune, commun à tous les éléments
qui la composent33. Le bien commun est un bien, c'est-à-dire cela même
qui cause objectivement dans les éléments qui composent la société une
perfection conforme à leur nature. Dans la société politique, le bonum
commune est la vie bonne selon la vertu, fin caractéristique de l'animal
politique. Pour Paolo Grossi, ce qui caractérise l'expérience juridique
médiévale, c'est cette recherche de l'« ordre juridique » immanent, accessible
à la raison naturelle, et qui en dernière analyse possède Dieu pour cause34.
Il convient pourtant de se garder d'une vision platonicienne de l'ordre.
Il n'est pas une idée subsistante à la recherche de laquelle devrait se livrer
le philosophe roi. Dans la vision scolastique tardo-médiévale, l'ordo se
manifeste dans l'harmonie relative que parvient à créer celui qui dispose
sagement et raisonnablement les éléments d'un tout en vue du bien. Dans
la cité, la norme positive qui contribue à imprimer cet ordo, procède de
la sagesse de Dieu inscrite dans la lex naturæ, mais il ne faut pas envisager
seulement la loi positive comme participation d'un modèle exemplaire et
idéal ; elle est aussi une rationis ordinatio35 forgée par la raison pratique
d'un législateur, mobilisant ses vertus au service du bien commun politique.
« Sapientis est ordinare » (« le propre du sage est d'ordonner ») répètent
en effet les maîtres de l'école après Aristote (Met. 982 a 17)36. Dès lors, le
propre de la sagesse et de la prudence politiques est de disposer toute chose
en vue d'un bien politique, de créer l'ordre politique davantage que d'en être
le contemplateur. Plus fondamentalement encore, la norme n'est juridique
qu'accidentellement, du moins si l'on se place toujours du point de vue des
33. Sur cette question de la cité, comme unité d'ordre, voir J. Martinez-Barrera, « De
l'ordre politique chez saint Thomas d'Aquin », in J. Follon et J. McEvoy (dir.), Actualité
de la pensée médiévale, Louvain-la-Neuve, Éd. de l'institut supérieur de philosophie, 1994,
p. 247-267, coll. « Philosophes médiévaux », 31, avec la bibliographie, note 2, sur les notions
de relation et d'ordre chez le Maître d'Aquin.
34. Parmi la littérature très abondante concernant la question des rapports entre nature et
droit, voir A. Boureau, « Droit naturel et abstraction judiciaire. Hypothèses sur la nature
dans le droit médiéval », Annales HSS, nov.-déc. 2002, n° 6, p. 1463-1488 ; J. Krynen,
« Naturel. Essai sur l'argument de la Nature dans la pensée politique à la fin du Moyen
Âge », Journal des savants, 1982, n° 2, p. 169-190.
35. voir la synthèse classique d'O. Lottin, « La définition classique de la loi », Revue
néo-scolastique de philosophie, t. 27/6, 1925, p. 129-145. Add., les mises à jour de M. Bastit,
La naissance de la loi moderne, La pensée de la loi de saint Thomas à Suarez, Paris, PUF,
1990, notamment, p. 25-168 ; F. Daguet, Du politique chez Thomas d'Aquin, Paris, Joseph
vrin, 2015, coll. « Bibliothèque thomiste », en particulier, p. 209-266.
36. Ce dont pourrait bien se souvenir Baldus de Ubaldis, comm. D. 1. 1. 1., add. n. 3, In
Primam Partem Digesti Veteris Commentaria, venise, 1599, f° 7rb : « Sicut naturalis philosophus loquutus [sic] est de natura in cælo constituta, id est de ordine et dispositione rerum ».
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