Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 39

PEUT-ON PARLER D'« ORDRE JURIDIqUE MÉDIÉvAL » ?

33

juristes de l'« età del diritto comune ». Si le droit n'est que l'objet propre
de la justice particulière, consistant à rendre à chacun ce qui lui revient, ce
n'est que de façon contingente que le commandement de la loi s'assigne
une telle tâche37. La loi peut commander l'exercice de toutes les vertus, en
tant qu'objet de la justice générale, et non pas seulement la justice particulière. Évidemment, la norme excède de beaucoup la manifestation d'une
« volunta statuale »38, comme le rappelle très opportunément Paolo Grossi.
La norme emprunte tous les canaux de l'autorégulation de la vie sociale,
pour lui comme pour Santi Romano. On en revient cependant toujours à
la même difficulté : jus, pour Bartole ou Balde surtout, est matériellement
autre chose que la lex. quoique tardive, cette distinction entre les concepts
est bien présente chez les juristes et elle résulte assurément d'une meilleure
connaissance de la logique et de l'éthique scolastiques de leur part. Dans
la glose d'Accurse, jus et lex semblent parfaitement synonymes39, mais
une fois assimilée la logique des artiens et l'éthique des théologiens, les
distinctions semblent plus claires. Balde se révèle souvent très préoccupé
de spéculation théorique40. Dans ses commentaires sur les lois Juris operam
(D. 1. 1. 1) et Lex est commune (D. 1. 3. 1), sont bien saisis comme les objets
spécifiques du droit et de la loi, selon qu'il s'agit de la justice particulière
ou générale41.
Peut-on alors appliquer au sens premier de jus la notion d'ordo ?
Existe-t-il, in fine, un ordo juris tel que l'entend le professeur Grossi ?
L'existence d'un ordre, au bas Moyen Âge, suppose une téléonomie
universelle de réalités singulières relativement à un tout. Ce qui constitue
l'ordo c'est sa finalité, l'ordinatio ad finem42. Autant la justice légale est
ordonnée au bien commun, autant la justice particulière est ordonnée à un
bien particulier. Le juridique, à proprement parler, n'existe pas en dehors
de la réalité politique. La justice générale existe per prius, la justice particulière per posterius - ce sont bien là les caractéristiques de l'ordre, selon
les doctores. Le juridique n'est donc pas un ordre subsistant, mais une
réalité incorporée à l'ordre politique unie par la finalité causale du bonum
37. Sur ces rapports entre jus et lex, voir M. Bastit, Naissance de la loi moderne, op. cit.,
p. 157-168.
38. P. Grossi, op. cit p. 233.
39. voir v. g. Gl. omnes et Gl. moribus, D. 1. 1. 9, Turin, 1969, f° 5ra : « Legibus id est iure
scripto », « Moribus id est iure non scripto ».
40. N. Horn, « Philosophie in der Litteratur der Kommentatoren : Baldus philosophus »,
Ius commune, t. 1, 1967, p. 104-149 ; M. Kriechbaum, « Philosophie und Jurisprudenz
bei Baldus de Ubaldis, Philosophi legum imitati sunt philosophos naturæ », Ius commune,
t. 27, 2000, p. 299-343.
41. B. de Ubaldis, comm. D. 1. 1. 1., D. 1. 3. 1., In Primam Partem Digesti Veteris
Commentaria, op. cit., fos 7, 17.
42. F. Daguet, Du politique, op. cit., p. 34.
Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne

Table des matières de la publication Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne
