Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 40

LA NOTION D'ORDRE JURIDIqUE

commune. Il ne semble donc pas que l'idée d'un ordre juridique ait pu
être pensée par les juristes de l'« età del diritto comune » même selon leurs
propres critères. Cette dépendance du juridique au politique nous semble
rendre problématique l'idée d'un droit sans État à l'età del diritto comune.
L'idée de pluralisme juridique peut être clairement associée au pluralisme
institutionnel et social du bas Moyen Âge. Seulement, le constat que les
idées de reductio ad unum ou de bonum commune dominent la pensée
tardo-médiévale, invite à ne pas écarter trop vite la notion d'État. Certes,
Paolo Grossi admet que lorsqu'il aborde la possibilité d'un droit sans État,
c'est par référence à un État hobbesien ou à un État kelsénien, ramassant
en lui-même toute la juridicité, toute la normativité. Un « droit sans État »
n'est pas un « droit sans politique », précise-t-il d'ailleurs. Compte-tenu
des difficultés à désigner ce qu'est l'État selon nos critères contemporains,
dans les ordres politiques pluralistes, nous pourrions dire, sans trahir Paolo
Grossi, qu'il n'y a pas de droit sans res publica.
Tout bien commun a raison de cause finale pour tout groupe social -
cause finale qui est un bien pour ce groupe -, bien de ce groupe qui est la
cause objective de la réalisation de son essence43. Mais par son caractère
transcendant, ce bien commun a son siège dans le groupe qui lui est hiérarchiquement supérieur, et qui vient le subsumer. Tout bien plus particulier
est conditionné par la réalisation d'un bien plus commun, en raison de
l'antériorité ontologique du tout sur la partie, dans la scolastique classique.
Plus une cause sera élevée, plus elle sera universelle. On comprend bien ce
que signifie alors le principe scolastique « bonum est diffusivum sui ». Si l'on
retient l'idée que toute loi est une rationis ordinatio ad bonum commune
- définition thomiste que reprend Paolo Grossi -, il existe nécessairement
un bonum commune, un bien commun politique, en ce qu'il fondera tous
les autres et qui constituera la cause finale de l'ordre légal. Il existe donc
nécessairement une res publica, fondatrice de tous les autres biens communs
inférieurs. Comme la loi a pour objet la justice générale et que le droit a
pour objet la justice particulière ; comme la justice particulière a pour objet
le jus, nous comprenons que les doctores au bas Moyen Âge n'auraient pu
penser un droit sans État, sans res publica.
Ces remarques pourront sembler passablement abstraites, et parfois
schématiques, attendu que bien des nuances mériteraient d'être introduites pour répondre à toutes les exigences de l'historien du droit. Elles
permettent néanmoins de suggérer avec insistance les difficultés que
43. Sur la question complexe du bonum commune dans la scolastique aristotélo-thomiste
classique, il faut se référer à l'essai de synthèse qu'a réalisé - quoique de façon polémique -
C. De Koninck, « De la primauté du bien commun contre les personnalistes », in S. Luquet
(dir.), Œuvres de Charles De Konink, québec, Presses de l'université Laval, t. II, 2010, outre
les indications bibliographiques proposées par F. Daguet, Du politique, op. cit., p. 51-76.

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