Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 69

PENSER L'ORDRE JURIDIqUE ECCLÉSIASTIqUE

aucun commentaire, glose, annotation ni interprétation sur ces Décrets [...]
le Siège apostolique se réservant le pouvoir d'éclaircir les difficultés »13.
La concrétisation organique de l'interprétation authentique, produite par
le juge, peut elle aussi être vérifiée dans le droit canonique. Le juge ecclésiastique doit strictement observer l'« ordo iuris et vigor aequitatis », et le
juge inférieur se conformer en permanence au juge supérieur. La décrétale
In causis (X, 2, 23, 19) fait obligation aux inférieurs de se prononcer, dans
les cas semblables, comme l'a décidé le souverain pontife14. Le sommaire
de cette décrétale est une parfaite illustration du principe d'autorité du juge
suprême : « Le pape, quand il prononce des sentences, sert/conserve l'ordre
juridique [Papa in sententiis, quas profert, ordinem iuris servat] ». D'après
le canon Ipsi sunt canones (C. 9, q. 3, c. 16), seul le pape peut connaître de
la validité des sentences rendues par les autres juges, et les rétracter. Enfin,
la décrétale Sententia (X, 2, 27, 1) pose le principe de la nullité radicale de
tout jugement irrégulièrement prononcé : « La sentence rendue contre la
loi ou les canons, bien que non frappée d'appel, ne peut subsister, en vertu
du droit ».
Certains théoriciens ajoutent à la structuration en système une notion de
complétude de l'ensemble, que l'on peut aussi attribuer au droit canonique
sans trop de peine. Il existe en effet des mécanismes juridiques postulant
un certain achèvement du système canonique. D'une part, en feignant de
croire que le droit canonique « ne contient rien d'obscur ou d'ambigu »
(Quoniam constitutio X, 1, 2, 13), et que, virtuellement, la loi pontificale
dispose de tout. Plus profondément, les « intrépides logiciens que furent
les canonistes ou les juristes du Moyen Âge », ont étendu par le biais de
l'analogie ou de la similitude de ratio legis « les cas semblables les uns aux
autres [...] tant et si bien qu'ils furent amenés à reconnaître que le domaine
de la loi était en fait illimité »15. D'autre part, en intimant au juge ecclésiastique de juger en cas de lacune de la loi. L'actuel canon 19, héritier et abrégé
d'une longue tradition, établit que « si, dans un cas déterminé, il n'y a pas
de disposition expresse de la loi universelle ou particulière, ni de coutume,
la cause, à moins d'être pénale, doit être tranchée en tenant compte des lois
portées pour des cas semblables, des principes généraux du droit appliqués
avec équité canonique, de la jurisprudence et de la pratique de la Curie
13. A. André, Cours alphabétique et méthodique de droit canon, Paris, 1845, t. II,
col. 1179.
14. « In causis, quae summi Pontificis iudicio deciduntur, et ordo iuris et vigor aequitatis
est subtiliter observandus, quum in similibus casibus ceteri teneantur similiter iudicare, nisi
forte, quum aliquid causa necessitatis et utilitatis inspecta dispensative duxerit statuendum ».
15. Ch. Lefebvre, Les pouvoirs du juge en droit canonique. Contribution historique et
doctrinale à l'étude du canon 20 sur la méthode et les sources en droit positif, Paris, 1938,
p. 22.

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