Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 93

LA SOCIÉTÉ DES PRINCES ET LE DROIT DES GENS

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L'époque moderne est, ensuite, celle où les disciplines ne sont pas encore
clairement établies. Les relations internationales tombent à la fois dans le
domaine du droit de la nature, de la théologie, de la philosophie politique
et celui de la « Politique ». Le droit « des gens » constitue une agrégation
sui generis de traités, ou contrats conclus entre souverains et, de l'autre
côté, un travail d'interprétation plutôt philosophique. Les praticiens (les
diplomates ou conseillers du prince) semblent davantage préoccupés par
l'opinion publique interne que par le forum de l'Europe entière.

B. Doctrine et pratique : le périmètre de référence
Écarter un conflit de normes ou l'imposition d'une priorité au profit des
normes internationales au xviiie siècle paraît d'autant plus exagéré quand
on regarde l'univers intellectuel des praticiens de la diplomatie. Comme
le décrivit Jean de La Sarraz du Franquesnay, publiciste suisse, le savoir
juridique du diplomate consistait à la fois en la formation académique
(droit romain, droit de la nature, droit des gens), la lecture de traités de la
doctrine, la conversation avec des gens bien versés dans les affaires et puis,
finalement, le parachèvement ultime dans l'expérience acquise17.
Le postulat de base est alors celui d'un périmètre des sources assez large.
La normativité ou la Verbindlichkeit18 d'une règle ou d'une convention
politique se lit dans un périmètre de sources sui generis. Le droit international, même aujourd'hui, est avant tout une pratique « horizontale » des
États, et non une doctrine établie par des observateurs externes partant
de postulats de base19. Les États sont à la fois sujets de droit et législateurs20. Aucune norme ne les lie, si elle n'a pas été reconnue par eux. Les
États s'expriment dans des traités ou des grands moments qui rythment
l'histoire des relations internationales, comme en témoignent les recueils
de traités, mais tout aussi bien dans l'intimité des négociations continues,
17. J. de La Sarraz du Franquesnay, Le ministre public dans les cours étrangères, ses
fonctions et ses prerogatives, Amsterdam, Aux dépens de la Compagnie, 1731.
18. A. Thier, « Zwischen Kultur, Herrschaftsordnung und Dogmatik :
Erkenntnisdimensionen rechtshistorischer Forschung », Rechtsgeschichte, t. 23, 2015,
p. 270-273.
19. J. Crawford, Chance, Order, Change: The Course of International Law, General
Course on Public International Law, Leinde, Martinus Nijhoff/Brill, 2013 ; F. Dhondt,
« Équilibre et hiérarchie : l'argument juridique dans la diplomatie française et anglaise après
la Paix d'Utrecht », in N. Drocourt et E. Schnakenbourg (dir.), Thémis en diplomatie :
l'argument juridique dans les relations internationales de l'antiquité tardive à la fin du
xviiie siècle, Rennes, PUR, à paraître.
20. G. Réal de Curban, La science du gouvernement, Paris, Les libraires associés, 1764,
t. v, p. 16-17 ; J. Combacau et S. Sur, Droit international public, Paris, Montchrestien,
Domat droit public, 2006, p. 23.
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