Hors collection - Théorie relationniste du droit - 132

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THÉORIE RELATIONISTE DU DROIT

principe que l'on ne peut accéder avec ses sens aux noumènes mais seulement
aux phénomènes. Elle s'appuie sur Heidegger, le successeur d'Husserl, qui
relève une différence ontologique entre l'être et l'étant, c'est-à-dire une totale
hétérogénéité et étrangeté. Ses premiers travaux ont porté sur Husserl puis sur
Levinas qui a introduit la pensée de Husserl en France. Levinas reprend l'idée
de différence à Heidegger pour la replacer entre le sujet et autrui. Il défend l'idée
qu'autrui est premier, qu'il est séparé du sujet et dès lors que le respect d'autrui
est premier. La philosophie première est donc l'éthique, le rapport à autrui. Il
considère même qu'autrui est le féminin en tant qu'il accueille le sujet. Autrui
exprimé par son visage étant premier, le sujet doit accepter de se substituer à
lui pour le sauver. Le sacrifice du sujet est une conséquence de cette philosophie qui cherche à aller au-delà du même, c'est-à-dire de l'identique à soi.
La séparation est telle entre le sujet et autrui que Levinas peut parler de relation
sans relation (sans attachement) qu'il assimile d'ailleurs à la religion (en tant
que ce qui relie selon, semble-t-il, une fausse étymologie). Cette séparation et
cette distance entre le sujet et autrui s'expriment par l'éthique qui est le mot grec
pour exprimer en réalité la sainteté dans le sens justement d'une juste distance2.
Il sera reproché à Levinas une approche trop extrême et sacrificatoire du sujet.
Derrida le défendra en notant qu'il s'agit là d'une critique facile. Il n'en suivra
pas pour autant Levinas sur ces points.
Derrida s'inspire de ces idées pour lui aussi reconnaître l'existence d'une
distance et d'une séparation entre les individus sans faire d'autrui une sorte de
transcendant inatteignable. Son idée de l'hospitalité sera certes inconditionnée
en son principe mais conditionnée dans sa réalité. Il a comparé Levinas à un
catholique qui s'appuie sur un autrui auquel il convient de se substituer et
lui-même à un protestant qui s'appuie sur une démarche de déconstruction du
texte issu de Luther via Heidegger. Un auteur s'est demandé3 lequel des deux
était le plus proche de la tradition juive sachant que l'un avait baigné dans une
tradition ashkénaze et hassidique (approche du judaïsme non ritualiste et intellectuel fondée sur les actions et la sainteté) et l'autre dans une tradition séfarade
et peut-être marrane. D. Brezis note : « À partir de là se précise l'opposition
entre les deux lectures qu'on vient d'esquisser. Si la lecture selon Levinas
souligne la dimension sacrificielle de l'approche de l'Autre, la lecture selon
Derrida met plutôt en avant les mécanismes de défense du Moi face à la menace
d'une exposition sans limite à autrui »4. Derrida est en tous les cas proche de
la kabbale espagnole lorsqu'il estime qu'un texte se dissémine à partir d'un
gramme insaisissable (ce qui est à l'origine de toute forme d'écriture avant
toute opposition duelle, une sorte d'étincelle kabbalistique), prolifère par greffes
2. Adieu à Emmanuel Levinas, Galilée, 1997, p. 113.
3. D. Brezis, « Rencontre de l'Autre et face à face avec Dieu », in Levinas-Derrida : lire ensemble,
D. Cohen-Levinas et M. Crépon (dir.), Hermann, 2015, spéc. p. 59.
4. Ibid.

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