Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin - 202

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LA PREUVE DIABOLIQUE

doit établir qu'il n'a pas été informé par son cocontractant ; c'est le défendeur qui,
dans certaines hypothèses, ne peut échapper à sa responsabilité qu'en prouvant
qu'il n'a commis aucune faute. Dans ces différentes situations, et dans quelques
autres, l'issue du litige se trouve ainsi sous la dépendance de la preuve de ce fait
négatif que constitue l'absence d'information ou l'absence de faute. Or une telle
preuve peut paraître impossible car, si l'on conçoit que l'on puisse prouver ce qui
est, on ne voit guère que l'on puisse établir ce qui n'est pas. C'est la fameuse probatio diabolica, celle que seul le diable peut apporter.
Si la doctrine s'est relativement peu intéressée à la preuve d'un fait négatif1,
les tribunaux en revanche ont bien dû mettre en place des modes de raisonnement ou des mécanismes permettant de remédier à l'exigence de cette preuve
diabolique. Et, au premier rang de ces mécanismes, figure l'instauration de présomptions simples tenant, sauf preuve contraire, le fait négatif pour établi. C'est
ce phénomène qui retiendra ici notre attention, sous le double aspect de la nature
et du domaine des présomptions ainsi posées.

I - quant à Leur nature, Les présomptIons dont IL s'agIt
apparaIssent, d'une part, comme des présomptIons
quasI-LégaLes et, d'autre part, comme des présomptIons sImpLes
Présomptions quasi-légales, d'abord. Les présomptions étudiées, qui ne sont
certes pas posées par la loi mais par le juge, n'entrent pas pour autant dans la
catégorie des « présomptions de l'homme » ou des « présomptions de fait », c'està-dire des indices de nature à emporter la conviction du juge.
On sait que l'article 1349 du Code civil définit les présomptions comme « des
conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu » et
que les textes subséquents traitent successivement, d'abord, des présomptions établies par la loi - en les assimilant en principe à des présomptions irréfragables
(art. 1350 à 1352) - ensuite, des présomptions qui ne sont pas établies par la loi
- en précisant que celles-ci sont « abandonnées aux lumières et à la prudence du
magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes » (art. 1353).
Cette distinction se répercute naturellement sur les pouvoirs respectifs des
juges du fond et de la Cour de cassation, cette dernière contrôlant le respect des
présomptions légales mais abandonnant au pouvoir souverain des juges du fond
l'appréciation de la force probante des indices relevés par eux. Or, lorsque la Cour
de cassation présume tel ou tel fait négatif, et à plus forte raison lorsqu'elle se
fonde sur cette présomption pour exercer sa censure, c'est à l'évidence une véritable règle de droit qu'elle pose, et une règle qui ne doit rien à une quelconque
appréciation des faits de l'espèce. C'est pourquoi de telles présomptions sont
volontiers qualifiées en doctrine de présomptions quasi-légales.
1. V. cependant J. Larguier, La preuve d'un fait négatif, RTD civ. 1953, p. 1 et s.
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