Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin - 204

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LA PREUVE DIABOLIQUE

négatif résulte suffisamment de l'établissement d'un fait qui l'induit nécessairement. La véritable preuve diabolique se constate lorsqu'au contraire le fait négatif
est infini, c'est-à-dire sans antithèse possible. C'est alors que la Cour de cassation,
allant au-delà d'un simple déplacement de l'objet de la preuve, accepte d'en renverser la charge en présumant, sauf preuve contraire, l'existence du fait négatif.
J'en donnerai deux exemples. Le premier, désormais classique, est celui de
l'obligation d'information, de mise en garde ou de conseil. L'absence d'information apparaît bien, pour le demandeur qui l'invoque, comme un fait négatif infini
qui ne peut se déduire d'aucun autre fait qu'il soit en position de démontrer.
Aussi la Cour de cassation juge-t-elle aujourd'hui qu'il appartient à celui qui est
légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière d'information de rapporter la preuve de son exécution. La solution, initialement consacrée
à propos de l'information due par le médecin à son patient4, a ensuite été reprise
dans différents domaines. Est ainsi censurée, au visa de l'article 1315 du Code
civil, la Cour d'appel qui inverse la charge de la preuve en faisant peser sur l'emprunteur la charge de démontrer le non-respect par le banquier de son obligation
de mise en garde en matière d'endettement5. De même, il est rappelé, au visa des
articles 1315 et 1147 du Code civil, qu'il incombe au vendeur professionnel de
prouver qu'il s'est acquitté de l'obligation de conseil lui imposant de se renseigner
sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer quant à l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation qui en est prévue6.
Un second exemple, plus récent, est relatif au manquement d'initié. Dans ce
domaine, la Chambre commerciale, accompagnant le souci premier du législateur de l'Union européenne et de la Cour de justice de l'Union européenne de
ne pas affaiblir l'effectivité du mécanisme de la sanction, a en effet énoncé qu'il
appartenait à la personne mise en cause devant l'Autorité des marchés financiers, dès lors que la matérialité des faits était établie, de démontrer qu'elle
n'avait pas fait une utilisation indue de l'avantage que lui procurait la détention
de l'information privilégiée7.
Cette technique de la présomption quasi-légale et du renversement de la
charge de la preuve n'est cependant pas propre à la preuve d'un fait négatif. Elle
se retrouve, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, toutes les fois que celleci estime nécessaire d'accroître les facilités de preuve offertes à une partie, et spécialement à celle qui demande réparation d'un préjudice dont elle a été victime.
Indirectement, c'est ainsi un renversement de la charge de la preuve qui
résulte, en matière contractuelle, de la préférence donnée à la qualification d'obligation de résultat, qui conduit à faire peser la preuve de la cause étrangère sur le
défendeur à l'action en responsabilité, plutôt qu'à celle d'obligation de moyens,
qui implique au contraire que le demandeur établisse la faute causale de son
4. Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n° 94-19.685 : Bull. civ. 1997, I, n° 75 ; LPA 16 juill. 1997,
p. 17, note A. Dorsner-Dolivet ; RTD civ. 1997, p. 924, obs. J. Mestre.
5. Cass. com., 11 déc. 2007, n° 03-20.747 : Bull. civ. 2007, IV, n° 260 ; RTD com. 2008,
p. 165, obs. D. Legeais.
6. Cass. 1re civ., 28 oct. 2010, n° 09-16913, Bull. civ. n° 215.
7. Cass. com., 8 févr. 2011, n° 10-10.965 : Bull. civ. 2011, IV, n° 17, arrêt Frydman.
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