Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin - 53

LIONEL ANDREU

13

moyen qui ne serait pas d'ordre public. Il suffit en effet aujourd'hui normalement
que ce moyen soit de droit (peu important qu'il soit de pur droit ou mélangé de
fait et de droit48)49 pour que le juge ait le pouvoir de le relever d'office - son caractère d'ordre public ayant seulement pour effet, sauf cas particulier, d'obliger  le
juge à le relever50. Cette solution devrait donc en réalité conduire les auteurs à la
solution inverse de celle préconisée51, et on n'est pas loin de penser que la réticence doctrinale actuelle n'est que le prolongement d'un discours antérieur à la
réforme qui aurait dû cesser ou se renouveler avec elle. C'est peut-être ce qui
explique que quelques rares auteurs s'en écartent désormais pour justifier la règle
avec des idées différentes. On pourra ainsi lire que « la compensation ne peut être
soulevée d'office par le tribunal, qui généralement ignore les circonstances qui
auraient pu l'entraîner »52 ou encore parce que « le juge "ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne seraient pas dans le débat" (art. 7, CPC) »53. Mais ces
tentatives ne convaincront sans doute pas davantage, car il est évident que la
question du relevé d'office ne se pose que lorsque le juge a connaissance des éléments de fait qui motiveraient son action54 et que, lorsqu'il s'agit de prendre en
compte ces derniers, il doit respecter les principes directeurs du procès. Il s'agit là
d'une règle commune à toutes les hypothèses où le juge fait usage de sa faculté de
48. En ce sens, J.  Normand, RTD civ.  1988, p.  816 ; J.  Héron et T.  Le Bars, op.  cit.
n° 282, note 51.
49. Rappelons que les moyens de fait « consist[ent] en une affirmation et/ou une appréciation de fait », que les moyens de droit mélangés de fait et de droit « appellent tout à la fois
du juge une appréciation du fait et du droit » et que le moyen est de pur droit « lorsque le juge,
travaillant sur un fait considéré comme une donnée acquise dans l'appréciation de laquelle il
ne rentre pas, est seulement appelé (en juge du droit) à statuer sur le fondement juridique »
(G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, PUF 1996, n° 121, p. 527).
50. J. Héron et T. Le Bars, op. cit., n° 282 et s. Et encore, cette analyse ne s'est véritablement imposée qu'avec l'arrêt d'Assemblée plénière du 21 décembre 2007 (Cass. Ass. Plén.,
21 déc. 2007, n° 06-11343, Bull.), la jurisprudence admettant jusque-là globalement l'obligation pour le juge de relever d'office les moyens de pur droit (en ce sens, S. Guinchard, C. Chainais et F. Ferrand, Procédure civile, n° 515 et s.). Au demeurant, lorsque les parties ne proposent
aucun moyen de droit, le juge étant tenu de trancher la contestation en appliquant la règle de
droit adéquate, il doit qualifier et rechercher lui-même la norme applicable (P. Julien et N. Fricero, Procédure civile, LGDJ, 4e éd., 2011, n° 249, p. 137).
51. Des auteurs justifient également la règle par le fait que « la loi, ne disposant pas que la
compensation peut être constatée d'office par le juge, celui-ci est sans pouvoir pour suppléer le
moyen de la compensation non soulevé par les parties » (B. Starck, H. Roland et L. Boyer,
Droit civil, Les obligations, Régime général, 6e éd., 1999, n° 345, p. 149). Mais pourquoi faudrait-il qu'une loi permette au juge de soulever spécialement ce moyen de droit alors que ce
pouvoir lui est déjà attribué de manière générale ? On lira encore que « le débiteur qui n'invoque pas la compensation est présumé y avoir renoncé » (Y. Buffelan-Lanore et V. LarribauTerneyre, op. et loc. cit. ; Ph. Drakidis, art. préc., n° 5) - explication pourtant contraire au
principe selon lequel les renonciations ne se présument pas.
52. Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, 6e éd., n° 1191.
53. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, 11e éd., n° 1408.
54. Au point d'ailleurs que l'obligation qu'a le juge de donner ou restituer leur exacte
qualification aux faits et actes litigieux ne s'impose à lui qu'« à condition toutefois de disposer
des éléments de fait propres à fonder la qualification retenue » (cass. 1re civ., 28 mars 2006,
n° 04-13967).
Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin

Table des matières de la publication Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin
