Grands Colloques - La crise des institutions - 59

FRANÇOIS CHÉNEDÉ

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16. La doctrine civiliste du début du XXe siècle n'est nullement passée
à côté du phénomène. C'est à Raymond Saleilles que revient le mérite de
l'avoir identifié et surtout de lui avoir trouvé un nom passé depuis à la
postérité : le contrat d'adhésion50. Mais ce sont de jeunes docteurs, Victor
Pichon51, Georges Fortier52 et Georges Dereux53, qui ont établi, dans les
années 1900-1910, un régime juridique qui préfigurait les solutions à venir
du droit de la consommation54. Pour cela, ces auteurs ont commencé par
identifier avec minutie la source potentielle de l'abus. Elle ne se trouve
pas, en effet, dans les termes de l'échange principal, c'est-à-dire dans
l'adéquation prix/chose ou rémunération/service. Elle se niche dans les
clauses accessoires - multiples, peu claires, non lues ou mal comprises par
l'adhérent - qui viennent déséquilibrer le contrat au profit du seul professionnel : clauses limitatives de responsabilité, clauses compromissoires,
clauses pénales, etc. Ces auteurs ont proposé deux règles principales pour
éviter ou sanctionner ces abus qui, comme le diable, se cachent dans les
détails. La première est l'interprétation des clauses ambiguës en faveur de
l'adhérent, règle qui dérogeait à la règle classique du Code civil de l'interprétation en faveur du débiteur. La seconde, plus radicale, est l'éviction des
clauses, certes claires, mais abusives, car contredisant la portée de l'obligation principale au détriment de l'adhérent.
17. Ces deux propositions ont été consacrées, par étapes, en droit positif.
La protection de l'adhérent passa d'abord par l'adoption de législations
propres à certains contrats : loi de 1905 pour le contrat de transport ; lois
ouvrières, codifiées en 1910, pour le contrat de travail ; loi de 1930 pour le
contrat d'assurance. Si la jurisprudence tenta de prendre le relais, il fallut
attendre la fin des années 1970 et l'avènement de la législation consumériste, pour que la protection soit étendue à tous les contrats d'adhésion55.
Plus exactement, à tous les contrats d'adhésion conclus par les consommateurs, car la jurisprudence, contre la volonté du législateur de 199556,
a exclu de la protection les contrats d'adhésion conclus par des professionnels en dehors de leur domaine de spécialité : contrat d'assurance, de
50. R. Saleilles, De la déclaration de volonté, contribution à l'étude de l'acte juridique dans
le Code civil allemand, Pichon, 1901, p. 194 et s., p. 229-230.
51. V. Pichon, préc.
52. G. Fortier, Des pouvoirs du juge en matière de contrats d'adhésion, Dijon, 1909.
53. G. Dereux, « La nature juridique des contrats d'adhésion », RTD civ. 1910, p. 503 et s.
54. Pour la présentation détaillée de leur œuvre, nous nous permettons de renvoyer à une
autre étude : « Raymond Saleilles et le contrat d'adhésion », RDC 2012. 1017.
55. Avec d'autres, comme les obligations d'information et droits de réflexion ou repentance, les deux règles proposées par la doctrine du début du 20e siècle firent ainsi leur entrée
dans le Code de la consommation.
56. V. le rapport (n° 1775) de M. Jean-Paul Chartier en date du 7 décembre 1994.
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