Grands Colloques - La crise des institutions - 86

LES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES

car se révèle alors toute la stratégie mise en place par elles pour contourner
leur incapacité à édicter le droit22.
On sait que la loi permet à de nombreuses autorités administratives
indépendantes d'intervenir de manière volontaire en formulant des recommandations23. Des recommandations de nature similaire peuvent également
être formulées par les autorités administratives indépendantes dans leur
rapport annuel. Ce pouvoir d'intervention volontaire ne constitue pas une
spécificité des autorités administratives indépendantes: la Cour de cassation
et le Conseil d'État publient également un rapport annuel dans lequel
des propositions sont formulées24. Des réserves sont, depuis longtemps,
formulées à l'encontre de ce pouvoir. Il y a en effet là un dangereux mélange
des genres quand on sait que l'autorité administrative indépendante qui
a demandé l'adoption d'un texte sera ensuite chargée de l'appliquer. Par
exemple, dans un avis presque unanimement critiqué par la doctrine,
l'Autorité de la concurrence avait demandé au législateur la création d'un
nouvel instrument coercitif : l'injonction structurelle, qui lui aurait permis,
en l'absence de toute pratique illicite mise en œuvre par l'entreprise en
cause, de forcer celle-ci à une modification de sa structure (c'est-à-dire de
procéder à des cessions forcées d'actifs)25. La proposition a fait son chemin :
d'abord consacrée dans la loi relative à l'outre-mer, elle figurait même, dans
une version élargie à l'intégralité du territoire national, dans la loi Macron.
Heureusement, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 5 août 2015
(n° 2015-715 DC) l'a retoquée, l'estimant contraire au droit de propriété
et à la liberté d'entreprendre26.

22. V. en ce sens, D. Truchet, op. cit., p. 384 : « ces autorités ont parfois une compétence
d'avis ou de recommandation sur le fonctionnement d'un marché et font connaître régulièrement la doctrine qu'elles entendent suivre, contournant l'impossibilité pour elles de
les exprimer par voie règlementaire ».
23. Par exemple, l'Autorité de la concurrence, selon l'article L. 462-4 du Code de
commerce, peut « recommander au ministre chargé de l'économie ou au ministre chargé
du secteur concerné de mettre en œuvre les mesures nécessaires à l'amélioration du fonctionnement concurrentiel des marchés ». L'Autorité de régulation des jeux en ligne, selon
l'article 34 de la loi du 12 mai 2010, peut « proposer au Gouvernement les modifications
législatives et réglementaires qui lui paraissent nécessaires à la poursuite des objectifs de la
politique des jeux d'argent et du hasard mentionnés à l'article 3 de la présente loi ».
24. C. Charbonneau, « Le rapport annuel de la Cour de cassation a 40 ans ! », RLDC
mai 2008, p. 63.
25. Aut. conc., n° 12-A-01, 11 janvier 2012, relatif à la situation concurrentielle dans le
secteur de la distribution alimentaire à Paris.
26. Disposition qui aurait dû être codifiée à l'article L. 752-26 du Code de commerce.

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