Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 100

LE TEMPS DES INSTITUTIONS

Cette inflexion nouvelle donnée aux solennités de rentrée suscite d'ailleurs l'attention des contemporains qui relèvent cette singularité et tentent
d'en décrypter le sens. Ainsi, dans La France judiciaire du mois de mars
1896, Henry Clément ne manque-t-il pas de s'interroger, dans une vaste
synthèse, sur Les discours de rentrée et les questions sociales. Après avoir
établi un exposé thématique des différents sujets abordés, l'auteur peut
conclure par ces mots : « Comme on le voit, la question sociale intéresse
toujours les compagnies judiciaires et nous avons été heureux d'analyser les
discours dont l'objet se rapproche de nos études habituelles, pour montrer
à nos lecteurs la place importante que prend chaque jour, dans l'esprit de
tous, le problème du travail et de la misère sous ses formes les plus diverses
et sous ses aspects les plus inquiétants »27.
Certes, cette attention particulière, et notamment la sensibilité à la
question ouvrière, ne constitue pas une radicale nouveauté dans la mesure
elle peut apparaître comme le prolongement d'une tradition d'inspiration
chrétienne puissamment enracinée au sein d'une fraction de la magistrature du xixe siècle28. Cette sollicitude envers le monde ouvrier s'est
parfois exprimée avec éclat dans l'enceinte même des tribunaux, comme en
témoignent les propos emblématiques29 tenus par le président du tribunal
de Valenciennes après l'émeute « quat' sous » consécutive à la grève des
mineurs d'Anzin du mois de mai 1833 : « Toutes les autorités forment des
vœux sincères pour l'amélioration de votre sort ; la voix de l'humanité ne
tardera point à se faire comprendre ; les riches propriétaires des établissements de mines ne peuvent être vos tyrans, non, ils ne peuvent l'être, un
titre plus digne leur est réservé ; ils ne laisseront pas à d'autres le mérite de
devenir leurs bienfaiteurs »30.
Très éloignés de cette forme de mansuétude affligée envers le monde
ouvrier, les discours de rentrée tenus dans la dernière décennie du xixe siècle
relèvent d'un autre ordre. Il s'agit, pour l'essentiel, de dresser un bilan de
l'œuvre accomplie en matière de réglementation des relations de travail
afin de tenter de mieux circonscrire les nouveaux périmètres d'intervention
de l'État.
27. CLément H., « Les discours de rentrée et les questions sociales », La réforme sociale,
t. 31, 16 janv. 1896, p. 167-179.
28. En ce sens, par exemple : Discours prononcés à l'occasion de la mort de M. Jean-BaptisteAugustin-Joseph Dumon décédé le 23 juin1877, président de chambre à la Cour de cassation,
Imprimerie Albert Duramou, 1877.
29. Ces propos ont été maintes fois rapportés tant par les contemporains que par les historiens ou les enquêtes conduites dans le cadre de l'Office du travail. En ce sens : ministère
du Commerce, de l'Industrie, des Postes et Télégraphes, Office du travail, Les associations
professionnelles ouvrières, t. 1, 1894, p. 373. oLszak N., Mouvement ouvrier et système
judiciaire (1830-1950), thèse droit Strasbourg, t. 1, 1987, p. 93.
30. Les propos du président Lecuyer sont rapportés dans Les associations professionnelles
ouvrières. Ministère du Commerce, de l'Industrie, des Postes et des Télégraphes, Office du
travail, Imprimerie nationale, 1894, p. 374.

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