Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 104

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LE TEMPS DES INSTITUTIONS

les carrières libérales et les emplois publics ». Aussi, remarque-t-il, pour
mieux souligner les dangers éventuels de l'enseignement primaire universel,
« l'instruction excite ou aiguise des appétits que la société ne pourra pas
forcement satisfaire »41. Selon les vues de l'avocat général Sarrut, cette
tension vers l'égalité, caractéristique de législation sociale républicaine,
apparaît donc susceptible de modulations en fonction du secteur d'intervention considéré : poussée à son maximum d'intensité en matière militaire,
elle ne pourrait l'être, dans d'autres secteurs, sans risquer de semer, à terme,
des germes de division au sein du corps social.
En 1898, à s'en tenir au propos tenu par l'avocat général Plédy devant la
cour de Bordeaux, le périmètre de la question sociale tend désormais à se
fondre entièrement dans celui des questions de travail. « Les lois sociales »,
expose ainsi Lucien Plédy à l'appui de son Étude sur les principes de la
législation du travail, « n'ont pas pour objet, comme on l'a dit, de rectifier
et de supprimer toutes les lois de la nature. Elles doivent seulement atténuer
les effets de celles qui sont cruelles et inhumaines »42. L'extension massive
du salariat et l'encadrement sans cesse plus contraignant des relations de
travail contribuent sans doute à considérer la législation du travail comme
un des leviers les plus efficaces de la politique sociale au point que législation sociale et législation du travail font l'objet d'une totale synonymie.
De plus en plus nettement affirmée, cette absorption du domaine social
dans celui du travail transpire encore plus clairement du discours prononcé
en 1900 par l'avocat général Duboin. En effet, sous le titre La législation
sociale à la fin du xixe siècle, son intervention devant la Cour de cassation
est exclusivement articulée autour de l'encadrement légal des relations de
travail. Cette assimilation de la question sociale à celle du travail peut
paraître d'autant plus justifiée qu'Eloy Duboin ne craint pas d'aborder,
sous prétexte que la pratique a cours à l'étranger, la question de la fixation
éventuelle d'un minimum de salaire : « La question est délicate et fort
controversée, concède-t-il. Il y a pour les patrons, on le reconnaît, une
obligation de conscience à donner à l'ouvrier un juste salaire, c'est-à-dire un
salaire équivalent à une somme du travail que l'ouvrier aura fournie ; mais
c'est là, ajoute-t-on, une obligation purement morale que la loi n'a pas la
qualité pour réglementer »43. En formulant l'hypothèse, encore théorique,
d'une réglementation des salaires, l'avocat général Duboin ne répudie la
perspective d'enrichir la législation ouvrière d'une nouvelle dimension
d'ordre économique.
En l'espace d'une décennie, les discours de rentrée laissent ainsi apparaître
un rétrécissement de l'objet de la législation sociale à la seule à la protection
du monde ouvrier. Il est vrai qu'entre-temps le champ d'application de la
41. sarrut L., L'œuvre législative de la Troisième République [...], op. cit., p. 10, 11.
42. PLédy L, Étude sur les principes de la législation du travail [...], op. cit., p. 20.
43. Discours prononcé par l'avocat général Duboin, op. cit., p. 312.

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