Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 11

AVANT-PROPOS

I - DES INTERROGATIONS PERSISTANTES
SUR L'UTILITÉ DU DROIT DU TRAVAIL
La persistance des critiques dont le droit du travail est l'objet appelle
des efforts réitérés pour tenter de comprendre le fonctionnement et les
effets sociaux de ce droit. Nul doute à cet égard que le point de vue de
l'histoire du droit permet de mettre les arguments en perspective. Recul
historique d'autant plus nécessaire que si la crise commencée en 2008 a
favorisé la diffusion du thème d'une régulation de l'économie, elle a aussi
réactivé, et par extension amplifié, celui de la déréglementation du droit
du travail8 ! Or, poussée à son extrémité, cette dernière ne revient-elle pas
à s'interroger sur l'utilité même du droit du travail ? Cette interrogation
pourra finalement paraître à l'historien aussi ancienne que le droit du
travail lui-même, mais force est de constater qu'elle prend une résonnance
toujours plus grande dans une société qui se définit désormais par le travail9.
Derrière le caractère générique et englobant d'un mot qui s'est émancipé de
son étymologie (souffrance, torture), il incombe en particulier à l'historien
des idées de rappeler le passage qui s'est opéré, au cours de la deuxième
moitié du xixe siècle, du « droit au travail » au « droit du travail », le second
se contentant (mais c'est déjà beaucoup) de rendre le travail libre dans une

le droit social actuel en partie responsable de leur situation ? » ; BarthéLémy J. et Cette G.,
Réformer le droit du travail, Odile Jacob, 2015, p. 15.
8. Si les communications, essentiellement historiques du présent volume sont centrées sur
la situation française, notre législation s'inscrit aujourd'hui dans un cadre européen qui favorise une mise en concurrence des droits nationaux du travail. La France a ainsi été appelée
à respecter les préconisations suivantes : suppressions des seuils réglementaires prévus par
le droit du travail, maintien des réductions du coût du travail, réforme du processus de
formation des salaires (en veillant en particulier à la compatibilité des évolutions du salaire
minimum avec les objectifs de promotion de l'emploi et de la compétitivité), facilitation, au
niveau des entreprises et des branches, des dérogations aux dispositions juridiques générales
(notamment en ce qui concerne l'organisation du temps de travail).
9. Retraçant l'histoire du mot travail, Lucien Febvre notait que « les classes laborieuses
avaient conquis le droit à l'Histoire, parce qu'elles étaient ouvrières, et non plus parce
qu'elles étaient misérables » ; Febvre L., « Réflexion sur l'histoire des techniques », in Vivre
l'histoire, Laffont, 2009 ; « travail : évolution d'un mot et d'une idée » (p. 842). Et l'auteur
d'ajouter : « Un homme de mon âge a vu, de ses yeux vus, entre 1880 et 1940, s'accomplir
la grande déchéance de l'homme qui ne fait rien, de l'homme qui ne travaille pas, de l'oisif
rentier et s'amorcer - (avec le retard convenable) - le discrédit de la femme "sans profession". [...] Ainsi s'achève le cycle. On part du travail-torture pour arriver (à en croire du
moins les vocables optimistes) au travail dans la joie » (ibid.). À l'orée des années 1990, Alain
Supiot intitulait un article « Pourquoi un droit du travail ? » ; alors qu'une crise du droit du
travail obligeait (déjà) à reconsidérer le fonctionnement et les effets sociaux de ce droit, il
en interrogeait la finalité et le rôle dans une société qui se définit précisément par le travail
(en avoir... ou pas) ; Dr. soc., n° 6, 1990, p. 485.

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