Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 114

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LE TEMPS DES INSTITUTIONS

des outils de régulation collective rendant possible la rationalisation de
la production dans les usines à travers le dialogue entre employeurs et
ouvriers et la constitution de contrats collectifs qui assurent une forme
de « paix sociale », qui deviendra souvent après 1936 une « paix armée »7.
Dans les années 1930, ces réformes sociales sont donc d'abord le fait d'« une
technocratie d'État imprégnée par les idées de réforme sociale puis concrétisée par une technocratie rationalisatrice »8. De fait, ingénieurs, hauts
fonctionnaires (en particulier des conseillers d'État) et patrons modernistes
promoteurs de nouvelles formes d'organisation du travail défendent un
ensemble de valeurs communes : rationalisation de l'économie et des entreprises, « néo-capitalisme » marqué par l'économie organisée plutôt que par
l'économie planifiée, réconciliation du capital et du travail et atténuation
de l'antagonisme des classes9. Dans les années 1930, on retrouve ces
« modernisateurs » au Conseil national économique (CNE), mais aussi au
ministère du Travail et dans des comités de rédaction de revues. Cette
technocratie s'impose dans le champ social comme dans le reste des secteurs
de l'action publique, et elle défend une vision des relations sociales apaisée,
mais consciente du fait qu'il existe des classes sociales et une lutte entre ces
classes. Cependant, cette conception collective du monde du travail peut
aussi être lue comme la condition de possibilité d'un « contrôle ouvrier »
sur la production. La CGT ne s'y trompe pas et, lorsqu'elle se réunifie en
1936, elle adopte l'ensemble de ces institutions en les considérant comme
l'imposition d'un œil syndical sur les décisions du management.
C'est donc un ensemble d'acteurs habituellement opposés qui se réunit
autour de la nécessité de transformer le droit du travail en un droit « social »,
au sens fort du terme, c'est-à-dire socialisé ou, sur son autre versant idéologique, corporatif et même corporatiste. La première de ces institutions
de régulation collective est le délégué du personnel : c'est un des points
centraux de l'accord Matignon, qui institue dans les établissements de
plus de dix ouvriers « deux ou plusieurs délégués ouvriers » ayant « qualité
pour présenter à la direction les réclamations individuelles qui n'auraient
pas été satisfaites »10. Mais il faut attendre le décret du 12 novembre 1938
pour généraliser le rôle du délégué du personnel et étendre sa mission à la
transmission des réclamations collectives. La deuxième institution est la
7. didry Cl., « La convention collective en 1936, les deux registres d'une institution légale
dans les conflits sociaux du Front populaire », Cahiers de l'institut régional du travail,
2001, no 9, p. 149.
8. omnès C., « Les acteurs sociaux et politiques et le délai-congé (1890-1936) », op. cit.,
p. 397.
9. denord F. et henry o., « La "modernisation" avant la lettre : le patronat français et
la rationalisation (1925-1940) », Sociétés contemporaines, n° 68, 2007, p. 83-104.
10. Cité par Le goFF J., Du silence à la parole, op. cit., p. 360.

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