Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 115

UN DROIT EN CONSTRUCTION (1936-1968)

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convention collective ; la loi du 24 juin 1936 écarte les conventions collectives signées en l'absence de syndicat, mais elle définit surtout une catégorie
nouvelle de conventions : celles qui peuvent être généralisées, ou plutôt
« étendues » selon le terme de la loi, à l'ensemble des travailleurs d'une
branche professionnelle après accord du CNE et du ministère du Travail.
Les conventions doivent contenir des éléments concernant la durée du
travail, les congés payés, les délais-congés et la définition des salaires. La
troisième institution est en l'occurrence un dispositif, celui de l'arbitrage
obligatoire en cas de conflits, né de la loi du 31 décembre 1936 et renforcé
par la loi du 4 mai 1938 : en cas de conflit collectif, les parties doivent
nécessairement se soumettre à une procédure de conciliation et d'arbitrage avant de déclencher une grève pour les salariés, un lock-out pour
les employeurs. La loi de 1938 institue pour ce faire une Cour supérieure
d'arbitrage (CSA), qui nomme pour les conflits un sur-arbitre : celui-ci
ne doit en rien se substituer aux parties et n'est qu'un « facilitateur » de la
négociation ; ainsi, selon la jurisprudence de la CSA, il ne peut pas rédiger
lui-même la convention de conciliation. Le déclenchement de la guerre
abrège l'expérience, mais ces dispositifs donnent à voir la possibilité d'un
droit social qui se déprendrait en partie du droit civil pour s'inventer sous
une forme collective inédite en droit français. On peut y voir une tentative
de révolution symbolique, produite par des hauts fonctionnaires et des
hommes politiques convaincus de la nécessité de produire de nouvelles
formes de régulation collective pour dépasser les antagonismes de classe.
Mais ces tentatives vont tourner court, d'une part du fait de l'attirance de
nombre de ces acteurs pour la version « fascistoïde » de ces régulations
collectives à travers le corporatisme vichyste, d'autre part du fait d'une
sorte de « loi d'airain » du droit français, qui ne parvient pas à dépasser ses
origines civilistes. Quoi qu'il en soit, et comme le montre Alain Chatriot,
la CSA est fortement reliée au Conseil d'État et au CNE, et ce qui se joue
alors selon lui dans les réseaux qui se créent à la même période, c'est la
possibilité d'une législation sociale, vue comme une entreprise de régulation
des « relations sociales françaises sous le contrôle de l'État »11. Mais ce n'est
qu'une partie de la législation sociale qui est collectivisée, tout un autre pan
de celle-ci - celui des relations entre salarié (au singulier) et employeur -
restant pris dans les mailles du droit civil individualiste. Naît alors la
dichotomie désormais canonique et reprise par l'ensemble des traités, des
manuels et des cours de droit du travail, entre « la relation individuelle de
travail » et « les relations collectives du travail ».

11. Chatriot A., La démocratie sociale à la française : l'expérience du Conseil national
économique, 1924-1940, La Découverte, 2002, p. 333-334.
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