Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 129

UN DROIT EN CONSTRUCTION (1936-1968)

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qu'aux représentants du personnel des entreprises, au fur et à mesure que se
multiplient les rôles institutionnels et de représentation des salariés. Il s'agit
à la fois de fournir « une information juridique large et accessible à tous » et
« d'assurer la formation juridique des militants »32. Pour ce faire, un des outils
est la publication de revues. C'est le cas pour la CGT avec Droit ouvrier,
mais aussi avec la Revue pratique de droit social33. Son histoire est révélatrice
du souci de vulgarisation du droit des organisations syndicales : lorsqu'elle
naît en 1944, Servir la France est un supplément de La vie ouvrière, revue
de la CGT. Elle s'autonomise en 1950 pour devenir Servir la France. Revue
juridique mensuelle, avant que l'avocat Maurice Boitel ne propose le nom
qu'elle porte encore aujourd'hui : Revue pratique de droit social. Les articles
de cette revue, comme les « guides pratiques » qui seront publiés ensuite, se
veulent d'abord pédagogiques et s'efforcent de traduire et de vulgariser les
textes juridiques en direction des militants syndicaux, qu'ils soient conseillers
prud'hommes, délégués du personnel ou membres des comités d'entreprise.
Il n'est pas rare, d'ailleurs, que les auteurs des articles fournissent le mode
de lecture en même temps que les explications juridiques nécessaires. Cet
effort de pédagogie est pris très au sérieux par les rédacteurs, qui se mettent
dans une position d'éducation populaire, d'éducation ouvrière comme on
disait alors. Droit ouvrier partage apparemment cette ambition, comme le
montre cet écrit d'Henri Raynaud, responsable du service juridique de la
CGT, en avril 1949 : « Avec bon outil, bon travail. Droit ouvrier est un outil
de premier ordre pour la défense juridique des travailleurs ».
Mais ces syndicalistes juristes se font aussi les médiateurs entre le monde
du travail et les professionnels du droit, en l'occurrence les avocats et
quelques professeurs. Contrairement à la période suivante, ces derniers sont
encore peu nombreux à investir, d'une manière ou d'une autre, le champ
syndical. Gérard Lyon-Caen est l'exception qui confirme la règle, avec
une autre figure beaucoup plus hétérodoxe : Marcel Piquemal. Ces deux
professeurs se retrouvent un certain temps dans le comité de rédaction de
Droit ouvrier. Dès cette époque, mais plus encore à partir des années 1970,
ce périodique devient une revue juridique, s'adressant en réalité beaucoup
plus aux agents du champ académique ou aux praticiens du droit qu'aux
militants. Les articles de doctrine y occupent une place croissante, surtout
rédigés par des avocats qui y trouvent un lieu leur permettant une prise
de position - certes militante mais aussi très armée juridiquement - dans
l'espace de la doctrine.

32. teLLier E., « Changer le regard des militants sur le droit [...] », op. cit., p. 62-63.
33. Pour une description d'ensemble de ce périodique, voir miLet L., « Le rôle de la Revue
pratique de droit social dans la diffusion du droit et la formation juridique des militants »,
in narritsens a. et Pigenet m. (dir.), Pratiques syndicales du droit. [...], op. cit., p. 85-97.

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