Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 141

LE RôLE DES « ANONYMES »

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D. Une autre « voix » des archives administratives ?
La correspondance entre Lucrèce Guelfi et ses inspecteurs
Lucrèce Guelfi opère sur trois canaux : une correspondance qui vient
de ses inspecteurs et qui est visée par les services administratifs locaux
ou métropolitains ; une correspondance entre elle et d'autres services
du ministère ou le ministre lui-même ; une correspondance directe avec
ses inspecteurs. Les deux premières sont conformes aux voies traditionnelles. La troisième par contre s'en distingue matériellement et sur le fond.
Matériellement, car elle ne transite par aucun service intermédiaire et que
sa forme ressemble davantage à de la correspondance privée qu'à de la
correspondance administrative. Cette hybridité se retrouve sur le fond
où d'une part, le discours mêle des éléments personnels et professionnels ;
d'autre part, la liberté de ton est très différente de celle de la correspondance
administrative coloniale. Conservée aux Anom où elle a été classée dans le
fond de l'IGT (//IGT69), mais dans un carton propre, cette documentation
est constituée d'une centaine de pièces que Guelfi a principalement reçues
d'inspecteurs du travail avec qui elle travaille.
De tels échanges facilitent les initiatives et la cohérence de l'action de
l'inspection. En engageant cette correspondance bilatérale, Lucrèce Guelfi
encourage en effet un espace de dialogue et de connaissance horizontal (sur
le travail des autres inspecteurs, leurs échanges, etc.) et un espace vertical
(mention des gouverneurs ou des personnels administratifs qui cherchent
à faire pression sur l'inspection ou, au contraire, l'aident ; description des
problèmes matériels, etc.).
Il serait intéressant de savoir si d'autres archives administratives (bien
au-delà des simples archives coloniales) ont produit ce type de littérature
intermédiaire, car elles nous permettent de reconsidérer et de relire les
archives officielles. Il est parfaitement compréhensible que les archives
administratives suscitent la méfiance des chercheurs, car elles tendent à
déformer la vision de ceux qui les lisent par les objets sur lesquelles elles
se concentrent, par leur méthode d'observation, par leur scénographie et
par leurs silences volontaires ou involontaires. Pourtant, cette voie particulière d'archive, presque hybride, qu'est la correspondance de Lucrèce
Guelfi permet de mieux décrypter les autres archives administratives en
débusquant leurs failles et leurs mensonges - et par là même conduit à nous
interroger sur leurs motivations. On peut en fournir un exemple à partir des
documents que nous avons dépouillés. En 1954, Lucrèce Guelfi affirme au
ministère que la correspondance entre les inspecteurs et le service central du
travail est « sous le couvert du chef du territoire » et « avec le bénéfice de ses
propres observations », ce qui n'a jamais suscité de problème38. Or, l'existence même de la correspondance « hybride » de Lucrèce Guelfi l'infirme.
38. Note de Mlle Guelfi pour le directeur du contrôle à la suite du rapport Truitard,
23 mars 1954, ANOM, IGT//114, op. cit., fol. 4.

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