Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 15

AVANT-PROPOS

propres du système récepteur23. On rappellera sur ce point qu'au début
du xxe siècle les règles du Code civil régissaient le droit du travail24, et
que tous les codes français du travail (1910-1927, 1973, 2008) n'ont été
depuis lors que des compilations de textes antérieurs. Si la doctrine, fidèle
à sa vocation critique25, effectue un travail de réception qui sera tantôt
réducteur tantôt amplificateur des enjeux qui sous-tendent le droit du
travail, elle n'est évidemment que l'un des vecteurs de cette réception,
comme en atteste la perspective fortement institutionnelle de certaines
des contributions réunies ici26.
Il faut surtout garder à l'esprit que dans le processus de réception, le
récepteur n'est jamais passif. L'histoire du droit du travail témoigne de
ce que des intérêts divergents peuvent parfois se regrouper pour favoriser
l'adoption d'une loi27. Mais, à l'inverse, la réception peut susciter un rejet tel
que la formation du droit menace d'échapper à ses instigateurs ; si la grève
est définie comme « une propédeutique, une initiation, une révélation de la
liberté »28, la forte contestation sociale de la loi El Khormi au printemps 2016
(prolongée dans l'expérience du mouvement Nuit debout) confirme de
façon topique son rôle dans le processus de réception du droit du travail. Il
n'aura d'ailleurs échappé à personne que cette actualité sociale récente s'est
singulièrement télescopée avec l'histoire : c'est en effet dans le contexte des
manifestations contre la loi El Khomri qu'a été célébré le 80e anniversaire
des accords de Matignon (7 juin 1936) dans lesquels on sait le rôle décisif
joué par le mouvement des grèves du printemps.
L'évocation de cette célébration invite à rappeler succinctement les
scansions de l'histoire du droit du travail. Le temps des fondations (18801936) passe d'abord par le ralliement tacite, puis par l'intégration des classes
ouvrières à la République (intégration qui n'est pas allée sans d'intenses
combats, dont atteste la multiplication et l'intensité des grèves dans les
années 1880-1914). Dans ce processus, le premier Code du travail (19101927), loin de faire l'unanimité, reflétait au moins l'image d'un État social

23. Voir les analyses de Jean-Jacques Clère et d'Alexis Mages.
24. Arnaud A.-J. et al., Dictionnaire encyclopédique de sociologie et de théorie du droit,
op. cit., voir « réception », p. 515.
25. Jamin C. et Jestaz P., La doctrine, Dalloz, 2004.
26. Voir les contributions de Karen Fiorentino, Farid Lekéal et Florence Renucci.
27. En atteste par exemple la question du repos hebdomadaire institué dans la loi du
13 juillet 1906, et qui fut le résultat d'une intéressante convergence des opinions des conservateurs (soucieux de la moralisation des classes ouvrières par la reconstitution du noyau
familial), des réformateurs (qui plaidaient pour le maintien du salaire pendant le temps de
repos) et des socialistes (pour enrayer les effets pervers du libéralisme).
28. Aubin G. et Bouveresse J., Histoire du droit du travail, PUF, p. 205.

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