Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 156

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LE TEMPS DE LA DOCTRINE

d'une autonomie absolue (I) au particularisme de ce droit (II) ; un passage
sur le processus de légalisation de la classe ouvrière (III) débouchera sur
le rêve libéral de la dérégulation (IV).

I - LES ILLUSIONS DE L'AUTONOMIE ABSOLUE :
DROIT PROLÉTAIRE ET DROIT DE CLASSE
Sous la IIIe République, le poids politique de la question sociale contraint
le droit à s'adapter. Autour des célébrations du centenaire, certains font de
la réglementation du travail un levier pour la révision d'un code bourgeois11,
quand d'autres estiment que la législation ouvrière justifierait un code spécial.
Du code en trompe l'œil12 de 1910, une analyse critique fera le critère de
l'impuissance de la République, qui légitimait la domination du capital13. Des
auteurs revendiquent pourtant l'existence d'un droit à part, un droit prolétaire. L'idée d'un droit nouveau mobilise en effet une partie de la gauche,
consciente de ses effets symboliques malgré sa défiance envers la loi. Le
droit du travail illustre la tension entre un droit légal de protection individuelle des travailleurs, et un droit collectif d'essence syndicale. Refusant de
croire à la neutralité de l'État bourgeois, la classe ouvrière cultive l'art de
la dissension, justifiée par la formule de Proudhon : « se séparer, se diviser,
c'est être ». Son rapport au droit alternant entre légalité et légitimité14, elle
oppose à la loi (étatique et répressive) un droit autonome, protecteur de ses
intérêts. En marge d'usages profanes du droit prolétaire, certains professeurs
développent une approche savante du droit ouvrier.
Marx oppose la domination impersonnelle à l'illusion volontariste des
juristes15, et dans la série sur le vol de bois (1842), le droit coutumier est un
11. GLasson E., Rapport sur le concours pour le prix du budget, 1898 : le Code civil « reste
la loi d'une société bourgeoise et non le Code du travail et des travailleurs » ; SaLeiLLes R.,
Introduction à l'étude du droit civil allemand, Pichon, 1904, p. 120 : « Le Code civil de 1804
fut dans le domaine de la vie juridique, l'expression parfaitement adaptée d'un état social
qui bientôt ne sera plus, mais qui venait de triompher, celui de la prépondérance des classes
moyennes et de l'individualisme bourgeois ».
12. PiC P., « La réforme du Code civil et le nouveau Code du droit », RTD civ, 1911,
p. 721 ; id., « Une loi de façade, le nouveau Code du travail », Questions pratiques, 1911, p. 15.
13. CoLLin F. et a., Le droit capitaliste du travail, op. cit., p. 35 : « Le droit du travail
apparaît alors comme la compensation d'une impuissance congénitale du régime à réduire
les antagonismes sociaux, qu'il est tout au plus question d'équilibrer ».
14. Pigenet M., « Regards croisés sur les pratiques syndicales du droit en France aux xxe
et xxie siècles », in Narritens A. et Pigenet M. (dir.), Pratiques syndicales du droit, PUR,
2014, p. 15.
15. Courtois G., « La critique du contrat de travail chez Marx », Archives de philosophie
du droit (désormais APD), 1967, p. 47 : « Ayant analysé l'homme comme volonté, et exclu
de la science juridique toute causalité qui ne serait de son fait, ils ne pouvaient concevoir la
domination que sous la forme d'une volonté personnelle imposant sa loi à autrui ».
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