Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 16

LA RÉCEPTION DU DROIT DU TRAVAIL

protecteur des travailleurs29. C'est bien ainsi que le comprenait le socialiste
Eugène Fournière, partisan d'une forme de consensus juridique, politique
et social : « Acceptons ce Code du travail, non pas seulement comme le
nécessaire complément rectificatif du Code civil, mais encore et surtout
comme une promesse, comme la première pierre d'un édifice nouveau :
la législation économique et sociale incorporant au droit public tous les
rapports laissés jusqu'ici sous l'empire du droit privé, sous l'arbitraire des
plus forts et des mieux armées pour la lutte »30.
Dans l'entre-deux-guerres, le développement de la société industrielle
moderne projetait le monde du travail dans le temps de la citoyenneté
(1936-1980), avec l'invention d'un nouveau modèle de gouvernement
de l'entreprise (conséquence de la dissociation toujours plus nette de la
propriété de l'entreprise avec les fonctions dirigeantes), fidèle à la nouvelle
sensibilité démocratique des grandes lois sociales de 1936 : congés payés
(20 juin), réduction de la durée hebdomadaire du travail à 40 heures
(21 juin), loi sur les conventions collectives, les libertés syndicales et les
délégués ouvriers (24 juin). Après la seconde guerre mondiale, le préambule
de la Constitution du 27 octobre 1946 consacrait solennellement l'existence des droits sociaux, au service d'une conception de la démocratie
qui ne serait plus simplement politique mais aussi économique et sociale :
« Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne
peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de
ses opinions ou de ses croyances. Tout homme peut défendre ses droits
ou ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix.
Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le représentent. Tout
travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination
collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».
Après l'ordonnance du 22 février 1945 créant les comités d'entreprise, la
loi du 16 avril 1946 restaurait les délégués ouvriers, devenus les délégués
du personnel ; la loi du 11 février 1950 rétablissait la conception contractuelle et libérale de la convention collective de travail (après l'échec de la
loi du 23 décembre 1946 qui avait tenté une conception étatique de ladite

29. Pour une analyse critique de ce processus, voir Cottereau A., « Droit et bon droit. Un
droit des ouvriers instauré, puis évincé, par le droit du travail », Annales histoire et sciences
sociales, 2002/6, p. 1521-1557. Au terme d'une histoire légendaire du contrat de louage de
travail depuis 1789, Glasson (puis Marc Sauzet et Émile Levasseur) invente le contrat de
travail en contredisant cent ans de pratique jurisprudentielle des justices de paix, conseils de
prud'hommes, tribunaux de commerce et cours d'appel - pratique fondée sur la législation
du louage d'ouvrage et non du louage de service, de sorte que le contrat qui liait l'ouvrier
à son employeur portait sur le résultat du travail et non sur sa conduite.
30. Fournière E., L'affirmation du droit collectif (1903) cité par J. Le GoFF, Du silence
à la parole, op. cit., p. 319.

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