Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 169

LES ILLUSIONS PERDUES DE L'AUTONOMIE

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Alain Supiot met les choses en perspective en précisant que déréglementer, ce n'est « pas cesser de réglementer, mais c'est choisir de
réglementer autrement »105 ; il rappelle surtout que si le procès du droit
associé au renouveau marxiste des années 1960-1970 devient un des axes
critiques du discours libéral106, la logique n'est évidemment pas la même, du
dépérissement du droit à sa délégalisation. D'abord engagée par la gauche
modérée107, cette légitimation d'un pouvoir normatif professionnel est
accentuée par la droite modérée. La délégalisation, fondée sur la pensée
libérale de Hayek108, imprègne désormais tellement le discours politique109
que les critiques peinent aujourd'hui encore à dénoncer les ressorts d'une
pensée individualiste qui néglige le social en même temps qu'elle nie la
réalité historique du pur libéralisme110.
Retournant le miroir des illusions de l'autonomie, Gérard Lyon-Caen
opposait pourtant au mythe de la réglementation excessive, un régime
juridique de l'emploi qui aurait toujours relevé « du libéralisme
orthodoxe »111. La chimère d'un Code du travail supplétif lui inspirait
donc « plus que de la réserve ; une absolue défiance. On reviendrait vite
à l'épreuve de force permanente »112. Et il opposait déjà à ceux qui suggé105. Id., « Déréglementation des relations de travail et autoréglementation de l'entreprise »,
Dr. soc., mars 1989, n° 3, p. 195.
106. Id., « Délégalisation, normalisation et droit du travail », Dr. soc., 1984, p. 296.
Rappelant les débats sur l'autonomie, Supiot redit l'opposition des notions du droit du
travail à celles du droit civil : la grève s'oppose à la conception d'inexécution fautive d'une
relation contractuelle, la convention collective dément le principe de l'effet relatif du contrat
(p. 298).
107. Après la phase des nationalisations avec la loi Auroux du 13 décembre 1982 relative
à la négociation collective. Voir JaviLLier J.-C., Les réformes du droit du travail depuis le
10 mai 1981, LGDJ, 1984.
108. Lyon-Caen G., « La bataille truquée [...] », op. cit., p. 808, note 36 : « Les critiques
d'Hayek sont largement dirigées contre un fantôme créé par lui. Il serait du reste surprenant
que le noyau dur du système juridique né lors de la Révolution ait disparu sans qu'on s'en
soit aperçu et sans que les entreprises aient protesté ».
109. « À un droit du travail général et absolu, doivent pouvoir déroger, sauf pour un
"noyau dur" de dispositions d'ordre public, des droits particuliers, divers, évolutifs et
négociés dans l'entreprise ou dans la branche » (ChiraC J., Dr. soc., 1986) ; « il convient de
modifier progressivement la hiérarchie et la place restrictive des sources du droit, afin de
parvenir à des règles juridiques négociées, applicables à différents niveaux : nation, branche,
régions, entreprise [...]. Cette transformation progressive aboutirait à un système pluraliste
de sources du droit autour d'un noyau dur de dispositions intangibles d'ordre public »
(barre R., Quelques réflexions pour une politique sociale, 29 janvier 1985). Cités par
SuPiot A., « Actualité de Durkheim [...] », op. cit., p. 185, note 93.
110. Id., « Délégalisation, normalisation et droit du travail », op. cit., p. 303 : « C'est ce
droit despotique d'organisation (despotisme de la fabrique) qu'est venu limiter le droit du
travail en introduisant dans l'entreprise elle-même certains principes de la "société libre" ».
111. Lyon-Caen G., « La bataille truquée de la flexibilité », op. cit., p. 802.
112. Ibid., p. 810.
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