Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 175

LE DROIT OUVRIER ET LES PRATIQUES OUVRIèRES

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souvent dans son rapport avec le droit civil, comme un droit spécial22. Pour
François Gény, le droit civil est le droit commun face au droit industriel,
droit spécial23. Colin et Capitant24 pensent la même chose, précisant qu'il
s'agit de « rameaux détachés », de « filiales » du droit civil-droit commun. À
la Libération, le débat est cependant relancé, notamment par Paul Durand
qui, à défaut de son autonomie, affirme le particularisme du droit du travail,
qui découle tant de son esprit que des catégories juridiques qui lui sont
propres et qui lui confie, au sein de toute la réglementation qui régit les
relations de travail, la même fonction que celle qui est traditionnellement
reconnue au droit civil au sein du droit privé : il forme un droit commun
qui unifie et irradie les réglementations spéciales à chaque activité professionnelle. Il ne saurait donc être qualifié de droit spécial, bien qu'il demeure
dans l'ordre juridique étatique, au sein duquel il joue le rôle important
d'alter ego du droit civil25. Quoi qu'il en soit, ce droit ouvrier n'est pas
différent, quant à son mode de production, du droit bourgeois, puisqu'il
prend sa source dans la loi, donc dans l'action de l'État. Le même constat
peut être dressé à propos du droit corporatif.
On le devine, la discussion est dominée par l'idée que les juristes se font
de la règle de droit et cette idée, reconnaît par exemple Paul Cuche26, n'est
jamais que l'expression d'une philosophie des rapports interindividuels
chargée de répondre à la double question de l'aptitude des groupements
humains à créer du droit dans une société donnée, et des modalités de
cette création. L'interrogation sur la juridicité des pratiques de tel ou tel
groupement n'est-elle pas fonction de la place assignée aux groupements
dans l'ordre social général ? Leur reconnaître une spécificité, voire une
autonomie, c'est affirmer l'incongruité d'une conception de la nature
humaine, comme partout et en tout temps identique à elle-même, donc une
conception pluraliste de la société. Tel est le sentiment de Maxime Leroy27

22. Voir LekéaL F., « Entre droit civil et droit social : antinomie ou complémentarité ?
Quelques décennies d'incertitudes », RHDFE 2010, p. 523-561. Georges Ripert envisage
de la même manière la relation droit corporatif professionnel/Code civil dans « Ébauche
d'un droit civil professionnel », in Études de droit civil à la mémoire de Henri Capitant,
Dalloz, 1939, p. 693.
23. gény F., « L'idée du droit en France », APD 1931, p. 23.
24. Cours élémentaire de droit civil, 1930, 6e éd., t. i, p. 7.
25. Durand P. et Jaussaud r., Traité de droit du travail, op. cit., n° 201 et s.
26. CuChe P., En lisant les juristes, 1919.
27. Sur Maxime Leroy, voir Verkindt P.-Y., « Maxime Leroy et la question syndicale »,
in Mélanges en l'honneur de Jean Pélissier, Dalloz, 2004, p. 607-624 ; Chatriot A.-S.,
« Maxime Leroy, la réforme par le syndicalisme », Mil neuf cent, 2006/1, n° 24, p. 73-94 ;
id., « Le sens de l'ordre dans la passion de la liberté : le droit prolétarien de Maxime Leroy »,
MSHDB 2013, vol. 70 et son compte rendu de La coutume ouvrière à la RTD civ. 2015, n° 2.

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