Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 177

LE DROIT OUVRIER ET LES PRATIQUES OUVRIèRES

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pas besoin de la consécration judiciaire38 ; à son objet (statuts des associations ouvrières39, règles d'atelier, règles de la grève et de la coopération entre
ouvriers). Mais, outre l'ouvrier et sa famille, ce droit concerne aussi ceux
qui l'emploient40, dans un dépassement du syndicat vers la corporation. À
côté de ce qu'il appelle la coutume judiciaire (la coutume des juristes), la loi,
les décrets et la jurisprudence41, il faut donc faire une place aux « pratiques
sociales » qui réglementent la « vie, la sociabilité prolétariennes »42, parce
que « le droit écrit n'est qu'une toute petite partie du droit d'une époque,
la partie la plus apparente, mais non la plus importante »43.
Ces positions sont-elles partagées par les juristes français au moment où
l'expression sources du droit prend sa signification moderne, désignant les
modalités d'édiction des règles de droit décrites à travers une théorie qui
n'est rien autre chose qu'une dogmatique (la distinction sources matérielles/
sources formelles étant un moyen de libérer le jurislateur en lui offrant la
possibilité de choisir, parmi les premières, celles qui lui semblent pertinentes44) ? À la question de savoir s'il existe des groupements susceptibles
de constituer des « milieux spéciaux de droit positif »45, certains de nos
privatistes paraissent de prime abord apporter une réponse positive, au
profit de corps sociaux tant privés - la famille46 - que publics, c'est-à-dire les
corporations de métiers. Ils ne semblent alors pas loin des vues de Maxime
Leroy qui, au vu de l'élaboration des lois sociales récentes, prophétise qu'un
jour « le syndicat sera le seul législateur dans les limites de la profession
qu'il agglomère »47. Mais alors que Leroy ne songe qu'au syndicat, paré de
38. Id., La coutume [...], op. cit., p. 25.
39. À propos de laquelle il écrit qu'elle donne corps à l'activité personnelle de la classe
ouvrière « qui, de son côté, fait, elle aussi, œuvre législative » (Le Code civil et le droit
nouveau, op. cit., p. 90) ; activité qui s'ajoute à celle du législateur.
40. Id., La coutume [...], op. cit., p. 26.
41. Évoquant le président Magnaud (id., « Les transformations de la jurisprudence pénale.
À propos des jugements de Château-Thierry », La Revue socialiste, nov. 1901, p. 586),
Leroy vantait déjà les mérites d'une jurisprudence qu'il considère comme le vrai droit
opposé au droit « métaphysique » du Code, « religion sans fidèles, mais non sans pontifes,
surtout sans vicaires ».
42. Id., La coutume [...], op. cit., p. 25.
43. Id., Le Code civil et le droit nouveau, op. cit., p. 37.
44. Plus que l'opposition dialectique spontané/organisé que l'on retrouve par exemple
chez Gurvtich (BeLLey J.-G., « Le "droit social" de Gurvitch : trop beau pour être vrai ? »,
Droit et société, n° 88, 3/2014, p. 736), c'est l'opposition donné/construit qui domine chez
nos privatistes ; un construit largement abandonné à la doctrine, dont la légitimité bénéficie
de l'entreprise de rénovation des méthodes juridiques lancée à la fin du xixe siècle.
45. gény F., Science et technique en droit privé positif, t. i, n° 19.
46. brethe de La Gressaye J., « La corporation et l'État », APD, 1938, n° 1-2, p. 80.
47. Leroy m., « Le droit ouvrier : une ligue de juristes », Le mouvement socialiste,
juin 1902, p. 1090. Il n'y a pas d'autre contribution de Leroy à cette revue pour juin 1902 :
la référence donnée par Chatriot (op. cit., p. 81 : Leroy m., « La propriété individuelle et le
Code civil », Le Mouvement socialiste, juin 1902, p. 1091) est erronée.
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