Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 218

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LE TEMPS DE LA DOCTRINE

portée à sa quintessence »14. Peu importe : il est peut-être moins déplacé
d'emprunter à la réflexion sociologique en présence d'historiens du droit
dont l'un d'eux, Henri Lévy-Bruhl - fondateur d'un laboratoire de sociologie criminelle, membre du comité de rédaction des Cahiers internationaux
de sociologie, de L'année sociologique (y tenant la rubrique « sociologie
juridique et morale »), ayant aussi collaboré avec la Revue française de
sociologie15 -, est bien connu pour avoir incorporé la sociologie à l'histoire du droit16. Il est vrai, cependant, que la sociologie du droit en France
peine à trouver son identité : est-elle une sous-branche de la sociologie
générale ou du droit, ou peut-être une « nouvelle » science sociale ? Selon
Émile Durkheim, considéré par beaucoup comme le père fondateur non
seulement de la sociologie du droit française mais également de la sociologie
générale17, les phénomènes sociaux doivent être considérés en dehors des
consciences des sujets qui se les représentent, et par conséquent doivent
être analysés comme « des choses externes et objectives » ; la sociologie du
droit lui apparaît être une branche spécialisée de la sociologie générale18. En
revanche, le doyen Carbonnier défend une approche qui « englobe toutes
les manières qu'a la sociologie juridique de se mettre au service du législateur [...], non seulement pour élaborer les lois nouvelles, mais aussi, une

14. Jestaz P., « "Doctrine" vs sociologie. Le refus des juristes », Droit et société, 2016/1,
n° 92, p. 139-157. L'auteur souligne : « Selon la tradition française, les arguments de droit
sont seuls recevables : "faire de la sociologie", ce n'est pas "faire du droit" ! Ceci à la différence de ce qui se pratique aux États-Unis, où la sociologie et d'ailleurs d'autres disciplines
comme l'analyse économique du droit apparaissent officiellement dans la motivation des
décisions, les Américains ayant depuis longtemps admis que l'on pouvait faire du droit
autrement. Mais il est vrai que, dans les pays de Common Law, la distance du fait au droit
est incomparablement moins longue et la dogmatique moins systématisée que chez nous ».
soubiran-PaiLLet F., « Juristes et sociologues français d'après-guerre : une rencontre sans
lendemain », Genèses 2000/4, n° 41, p. 125-142.
15. L'on n'oublie, bien évidemment, pas d'éminents contributeurs, professeurs de droit,
à cette revue parmi lesquels Jean Carbonnier et François Terré.
16. Lévy-bruhL H., « Sciences du droit ou "juristique" », Cahiers internationaux de sociologie, 1950, p. 123. Ce qui manque à beaucoup de juristes, écrit-il, c'est d'avoir fait de la
sociologie. S'ils en avaient fait, « ils auraient appris au contact de cette discipline, que les
phénomènes sociaux ont des causes sociales ». Ils auraient appris également que « les règles
juridiques étant l'expression de groupes et non d'individus, acquièrent par là même une
objectivité qui les rend justiciables de l'investigation scientifique ». Il appelle « juristique »
la science empirico-social, appliquée aux institutions, préoccupée par l'étude des faits juridiques et intégrée au sein de la sociologie et de l'histoire du droit.
17. ChazeL F., « Émile Durkheim et l'élaboration d'un "programme de recherche" en
sociologie du droit », in ChazeL F. et CommaiLLe J. (dir.). Normes juridiques et régulation
sociale, LGDJ, coll. « Droit et société », 1991.
18. LasCoumes P., « Le droit comme science sociale. La place d'Émile Durkheim dans les
débats entre juristes et sociologues à la charnière des deux derniers siècles (1870-1914) », in
ChazeL F. et CommaiLLe J. (dir.), Normes juridiques et régulation sociale, op. cit.

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