Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 221

L'AUTONOMIE COLLECTIVE

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Constitution de 1948 a vu le jour. Si ce dernier texte habilite les syndicats
à conclure des accords collectifs, la loi qui devait fixer la procédure de
négociation n'a pas été adoptée en raison de divergences de point de vue
entre les partis politiques et les syndicats. À cette époque, Gino Giugni
(1927-2009), professeur de droit du travail, avocat et homme politique,
s'ouvre aux sciences sociales, rejette la doctrine traditionnelle dominée
par les notions formelles (élaborées après la guerre et la suppression du
régime corporatiste fasciste) nourries d'une vision civiliste et libérale du
rapport de travail30 ; il présente en 1960 une théorie - inspirée de Santi
Romano - fondée sur l'affirmation de l'existence d'un ordre juridique
singulier - ordinamento intersindicale - compris comme un ordre normatif
dynamique doté d'une juridicité originaire, valide par sa seule effectivité,
n'ayant nul besoin d'être légitimé par le droit étatique. Naîtrait ainsi,
hors de l'ordre juridique étatique, un ensemble de règles et d'institutions
produites par l'autonomie collective31.
En France, Georges Gurvitch (1894-1965), sociologue français d'origine
russe, développe le concept de « pluralisme créateur »32 ; Michel Coutu,
juriste à l'université de Montréal et coordonnateur du groupe d'études sur
le droit du travail, souligne alors que « si l'on rapporte l'idée de pluralisme
juridique à la sphère du droit du travail, la notion décisive apparaît à l'évidence : c'est celle de l'autonomie collective »33.
Gurvitch, dans son ouvrage intitulé Le temps présent et l'idée de droit
social, présente au public francophone une synthèse de la pensée du
« précurseur allemand de la science du droit du travail »34 Hugo Sinzheimer
(1875-1945), dont il se réclame et qu'il convoque en appui à sa conception
pluraliste ; il s'approprie deux notions - « l'autodétermination sociale » et
« le droit autonome du travail » - qui en quelque sorte fusionnées deviennent
« l'autonomie collective »35. Il formule une remarque de nature empirique
à ses yeux capitale : « Le stade actuel (début du xxe siècle) du droit du
travail est caractérisé avant tout par le rôle croissant du droit extra-étatique
et "inofficiel" qui émane des groupements spontanés des intéressés et de
30. Ferrari V., « La culture sociale chez les juristes italiens contemporains », Droit et
société, 2010/2, n° 75, p. 337-361.
31. L'on retient de Gino Giugni davantage sa théorie de l'ordre intersyndical que la
référence qu'il a fait à l'autonomie collective (Lyon-Caen A., « Gino Giugni », RDT 2009,
p. 617).
32. Voir notamment Le goFF J., Georges Gurvitch. Le pluralisme créateur, Michalon,
coll. « Le bien commun », 2012 ; beLLey J.-G., « Le "droit social" de Gurvitch : trop beau
pour être vrai ? », Droit et société, 2014/3, n° 88, p. 731-746.
33. Coutu M., « Autonomie collective et pluralisme juridique : Georges Gurvitch, Hugo
Sinzheimer et le droit du travail », Droit et société, 2015/2 (n° 90), p. 351-372.
34. rottLeuthner h., « Sociologie du droit en Allemagne » Droit et société, 1989/1,
n° 11, p. 97-115.
35. Coutu m., « Autonomie collective et pluralisme juridique [...] », op. cit., p. 5.
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