Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 228

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LE TEMPS DE LA DOCTRINE

groupement mais, en réalité, d'entériner un état de fait, de fournir un cadre
juridique à une pratique plus que centenaire »64. Et le même auteur de
préciser que l'État a légalisé des faits sociaux en raison d'un contexte délicat,
« pour éviter la guerre civile [...] par volonté de refroidir les tensions et
les passions ». Norbert Olszak, quant à lui, formules deux observations :
« Cependant, si l'on regarde de plus près, les résultats législatifs de ces
époques correspondent souvent à des textes discutés depuis longtemps par
les organisations professionnels et les partis politiques et préparés par les
administrateurs »65 ; « L'évolution des conventions collectives condense
toutes les relations difficiles entre la pratique et le cadre juridique théorique
tantôt l'un est largement en avance sur l'autre, tantôt la législation essaye de
trouver des solutions à la faiblesse des relations syndicales ». Vincent Viet66,
qui réfléchit à la « sociogenèse du système français des relations sociales »,
remarque que les pouvoirs publics se sont désintéressés, jusqu'à la première
guerre mondiale, des conventions collectives, pour ensuite agir de manière
croissante ; il explique par l'analyse des faits contextualisés l'impossible
autorégulation des relations sociales.
Plus encore, à la fin du xixe-début du xxe siècle, la situation de certains
travailleurs - les tisserands de batiste et de mouchoir de lin fin à Cholet ou
les rubaniers de Saint-Étienne - est riche d'enseignements. Ceux-ci se sont
organisés très tôt en syndicats et ont conclu des conventions collectives
bien avant la loi du 25 mars 1919, censée régir ces conventions67. L'accord
collectif de 1905 est tout aussi stimulant68 : il établit des « tarifs » (c'està-dire un prix uniforme fixé pour chaque article, pièce fabriquée, négocié
collectivement entre syndicats, et présenté individuellement à chaque
fabricant qui recourt à des travailleurs) et prescrit que les cas d'infraction
sont portés devant une commission mixte élue, composée en nombre égal
de représentants des syndicats ouvriers et patronaux, qui siège régulièrement, discute les cas d'infraction et inflige des amendes aux fabricants.
Bel exemple d'un ordre juridique du travail non étatique.
Ceci dit, dans une approche pluraliste, deux ordres juridiques, l'un dit
du travail (qui se caractérise par la spécificité à la fois de son champ, des
64. Le goFF J., Du silence à la parole, op. cit., p. 259.
65. oLszak N., Histoire du droit du travail, Economica, 2012, p. 14.
66. « L'organisation par défaut des relations sociales : éléments de réflexion sur le rôle
et la place de l'État dans le système français des relations sociales (1880-1939) », in Le
Crom J.-P. (dir.), Les acteurs de l'histoire du droit du travail, Presses universitaires de
Rennes, 2004, p. 189-211.
67. rudisChhauser S., « L'autonomie sociale, ou le syndicalisme producteur de normes.
Les conventions collectives avant la lettre », in narritsens A. et Pigenet M. (dir.), Pratiques
syndicales du droit [...], op. cit.p. 101-112.
68. Sur cet accord, voir rudisChhauser s., « Histoire et droit du travail. Retour sur les
travailleurs indépendants », RDT 2016, p. 405.

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