Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 24

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LE TEMPS DE LA LOI

est vrai que la France n'est pas à la pointe du progrès, sur le plan de la
législation ouvrière, puisqu'avant le vote de la loi du 22 mars 1841, il faut
s'en remettre à des actes isolés, lacunaires et qui ne brillent pas par leur
sollicitude à l'égard des ouvriers. Il suffit pour s'en convaincre de lire le
décret impérial du 15 octobre 1810 relatif aux manufactures et ateliers et
qui, à l'entrée de la (fabrique de) blanc de plomb ou de céruse, précise :
« Quelques inconvénients seulement pour la santé des ouvriers »5. On peut
d'ailleurs lire le même commentaire dans l'ordonnance du 14 janvier 1815,
cette fois-ci pour les fabriques d'acétate de plomb et de sel de saturne6, ce
qui n'est pas sans surprendre, lorsque l'on connaît les effets néfastes des
différentes préparations du plomb sur la santé des ouvriers7. Il est vrai
que la Révolution industrielle est arrivée en France bien plus tard qu'en
Angleterre, mais le législateur ne l'avait pas anticipée, d'où le caractère très
obsolète et inadéquat des normes en vigueur.
La loi du 22 mars 1841 édicte des dispositions favorables à l'enfant
ouvrier, mais force est de constater que sa mise en œuvre est restée très
superficielle. Comme l'écrit Gustave Maurice, inspecteur divisionnaire
du travail des enfants dans les usines de la Seine : « Il est un fait certain,
c'est que, dans la grande majorité des régions industrielles de la France,
la loi du 22 mars 1841 non seulement n'a pas été jusqu'ici appliquée, mais
est même restée à peu près ignorée »8. Ce statu quo ante va susciter la
formation d'associations spécialisées dans la défense de l'enfance laborieuse,
à commencer la Société industrielle de Mulhouse qui, la première, ameute
l'opinion publique, sur la condition des jeunes ouvriers9 puis, par la suite,
la Société industrielle de Reims ou encore la Société de protection des
jeunes apprentis de Paris10.
Le recours massif du monde industriel à l'enfant, conjugué aux lacunes
de la législation, engendre des conséquences fatidiques. Charles Bodeau,
en 1845, dans sa thèse de médecine consacrée au travail des enfants dans
les manufactures, souligne la surmortalité de ceux-ci. Dans tous les grands
5. Voir Dictionnaire de l'industrie manufacturière, commerciale et agricole [...], t. 2,
Mélines, 1837, p. 311.
6. Ibid., p. 319.
7. Voir par exemple, PaLiard D., « Des dangers que présente l'emploi du blanc de
céruse dans les travaux de peinture », Revue d'hygiène et de police sanitaire, 1879, n° 1,
p. 1004-1009.
8. MauriCe G., Guide pratique de l'inspecteur du travail des enfants et des filles mineures
dans l'industrie, Bouquin, 1875, p. 8. Voir également Bodeau C., Du travail des enfants
dans les manufactures considéré sous le pont de vue de l'hygiène publique, thèse pour le
doctorat de médecine, 30 juillet 1845, 1845, Rignoux, p. 29.
9. BLaChez D., Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 29 novembre 1872,
série n° 2, t. 9, p. 769.
10. TaLLon E., La vie morale et intellectuelle des ouvriers, Plon, 1877, 2e éd., p. 125.
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