Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 45

DE LA DIFFICULTÉ DE CONCILIER LE CAPITAL ET LE TRAVAIL 41

dixième servira à la formation du fonds de réserve, l'autre à l'amortissement
des actions15. Chaque action de capital amorti donnera alors naissance à deux
actions de jouissance : une première en faveur du porteur de l'action amortie ;
une seconde, « dite action de jouissance du travail », deviendra « la propriété
du travail »16. Le capital et le travail seront de la sorte à égalité dans la mesure
où les actions de jouissance du capital et les actions de jouissance du travail,
en plus d'être titulaires des « mêmes droits », posséderont une « égale valeur »
(article 76 de la proposition)17. Justin Godart est ainsi persuadé que les
porteurs d'actions de jouissance du travail, parce qu'ils pourront siéger au
sein des instances dirigeantes, obtiendront des « conditions meilleures » pour
eux-mêmes et pour « leurs camarades »18.
Se pose cependant la question de la gestion desdites actions. Convient-il
de privilégier une approche individuelle ou collective du travail ? Faut-il
donner à chacun des travailleurs, à titre personnel, les actions auxquelles ils
peuvent prétendre ou la propriété de celles-ci doit-elle être attribuée à une
entité représentative de tous les salariés ? La mobilité des employés incite
Justin Godart à opter pour la seconde solution : une « caisse nationale de
crédit au travail » gérera un portefeuille d'actions de jouissance. Au-delà,
cette institution servira des desseins qui dépassent le cadre restreint d'une
entreprise en particulier. Outre les conquêtes économique (la possession
d'actions) et juridique (la participation active aux décisions), il est en effet
acquis dans les milieux socialistes que l'émancipation du travailleur passe
par la maîtrise complète de son outil de travail. C'est pourquoi le député
lyonnais estime, à la suite d'une projection hasardeuse19, qu'une part des
revenus générés au sein de cette caisse contribuera à terme au financement
de « sociétés ouvrières », lesquelles prendront place à côté des « sociétés
capitalistes ». Cette part tiendra lieu également de subvention en faveur de
« l'enseignement professionnel »20, de sorte que les ouvriers acquerront le
contrôle de leur métier.
Le président du Conseil Aristide Briand soutient la proposition Godart
lors d'un discours prononcé à Périgueux le 10 octobre 1909. Il fait de
la « participation des travailleurs aux bénéfices » une priorité de l'action
15. J. godart, « La Part du Travail », Questions pratiques de législation ouvrière et d'économie sociale, 1909, t. 10, p. 171.
16. Ibid., p. 169.
17. Ibid., p. 171.
18. Ibid., p. 170.
19. Selon un « calcul très approximatif », Justin Godart évalue en 1909 à « 300 millions la
valeur des actions de jouissance cotées en Bourse ». Il conviendrait d'ajouter à ce chiffre la
« valeur des actions de jouissance non cotées. Ce seraient 200 millions au moins qui auraient
déjà du légitimement revenir au travail » ; « Chambre des députés (séance du 17 mai 1909)
[...] », Bulletin [...], op. cit., p. 206.
20. Ibid., p. 205.

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