Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 48

LE TEMPS DE LA LOI

donc rien de révolutionnaire en soi puisque, en plus d'user des voies
légales, il n'a pas l'ambition de détruire l'ordre juridico-économique. Ni
« monstre juridique » ni « entité juridique nouvelle »31, la SAPO consiste
seulement, lors de la rédaction des statuts, ou en cours d'exécution du
contrat, à insérer une clause par laquelle sont créées des actions du travail.
La propriété de celles-ci reste collective mais leur gestion n'est plus confiée
à une caisse spéciale de dimension nationale (voir proposition Godart).
Elle revient à une société autonome, véritable « coopérative de maind'œuvre »32, qui fonctionne dans le cadre de la société anonyme. Afin
de remplir la mission qui lui est assignée, c'est-à-dire la jonction entre
le capital et le travail, elle dispose de prérogatives semblables aux autres
actionnaires, au moyen de délégués qui la représentent au sein des assemblées générales et du conseil d'administration.
Indépendante quant à son mode de fonctionnement, son existence est
en revanche liée à celle de la société anonyme. La société ouvrière, qui ne
doit sa naissance qu'à la volonté des fondateurs de l'entreprise33, a une
durée de vie identique à cette dernière34 dans la mesure où elle constitue,
aux yeux d'Étienne Antonelli, son « prolongement »35. Cette concordance
des temps sert également à éviter les manœuvres frauduleuses de la part
d'ouvriers qui, afin de percevoir le prix des actions de travail, pourraient
être tentés de dissoudre la société ouvrière immédiatement après l'avoir
constituée. Pour éviter de tels comportements, la future réforme devra
prévoir l'incessibilité desdits titres, quitte à contredire les principes en la
matière. Cette dépendance se retrouve aussi dans les relations interindividuelles, entre employeur et salarié. Elles sont inchangées, puisque le lien
de subordination, caractéristique du contrat initial de travail, demeure. Le
patron reste en effet « maître » de « congédier » l'ouvrier ou de modifier son
« salaire »36. Les relations que l'employé entretient avec la société ouvrière
sont en revanche déterminées librement lors de sa formation.
Étienne Antonelli répond enfin à deux critiques. La première consiste
à minimiser la portée de la réforme projetée, voire à nier les différences
entre la participation aux bénéfices et la participation ouvrière. Il rappelle
31. Ibid., p. 23-24.
32. antoneLLi e., Les actions [...], op. cit., p. 28.
33. Soucieux de ne pas heurter le patronat, Antonelli fait sienne l'idée libérale selon laquelle
la loi ne doit « rien imposer ». Elle ne peut que « proposer », c'est-à-dire inciter. Pour orienter
le choix des entrepreneurs, il conviendrait de calquer le régime fiscal de la société anonyme
à participation ouvrière sur celui, avantageux, des coopératives de production (ibid., p. 34).
34. Elle peut être inférieure pour le cas où les dirigeants souhaiteraient mettre fin à l'expérience, mais jamais supérieure.
35. antoneLLi e., Les actions [...], op. cit., p. 29.
36. Ibid., p. 30.

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