Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 49

DE LA DIFFICULTÉ DE CONCILIER LE CAPITAL ET LE TRAVAIL 45

cependant que, d'un côté, le patron est libre ou non de l'octroyer. La
participation aux bénéfices n'autorise pas par ailleurs les salariés à siéger
dans les organes de direction. De l'autre, la participation ouvrière oblige
l'employeur dès lors qu'elle est inscrite dans les statuts. Elle permet surtout
l'intervention directe des ouvriers dans la gestion de la société. La seconde
critique se place sur le terrain juridique et prétend que seuls les apports en
numéraire ou en nature donneraient droit à la qualité d'associé, en application de l'article 34 du Code de commerce et des articles 1 et 3 de la loi
de 1867. Étienne Antonelli regrette qu'il ne soit pas tenu compte ici des
évolutions qui ont conduit à reconnaître l'existence d'apports en services.
Les « conditions économiques nouvelles » devraient conduire selon lui à
« admettre la possibilité d'un apport de services successifs et futurs », représentatif du capital-travail37. Le groupement ouvrier d'une SAPO remplirait
dès lors tous les critères qui font de lui un associé à part entière38.
Le projet Chéron reprend à l'identique, ou presque, celui d'Étienne
Antonelli. Quelques modifications sont toutefois apportées à la suite des
débats parlementaires qui, après avoir été interrompus lors de la Grande
Guerre, s'intensifient au cours de l'année 1917. Le rapporteur au Sénat,
Charles Deloncle, place d'ailleurs ce projet sous le signe de l'« union sacrée
dans le cadre social ». Il précise ses modalités en indiquant qu'il appartient
aux fondateurs de déterminer le nombre des actions de travail. Elles doivent
être remises à l'issue de la première année de fonctionnement à la collectivité
des salariés, peu importe leur statut (employé, contremaître, chef de service,
ingénieur, etc.) ou leur sexe (homme ou femme), à partir du moment où ils
remplissent les deux conditions suivantes : être âgé d'au moins vingt-un ans
et travailler depuis un an au sein de l'entreprise. Cette collectivité, la coopérative de main-d'œuvre, devra elle-même se constituer sous la forme d'une
société anonyme. Elle percevra chaque année l'ensemble des dividendes qui
reviennent aux actions qu'elle détient. Elle répartira ensuite ces dividendes
entre tous les salariés, conformément à ses dispositions statutaires ou aux
décisions prises dans le cadre de ses assemblées générales. Ces actions seront
enfin « nominatives, au nom de la coopérative, incessibles et inaliénables ».
D'une « grande portée économique et sociale », ce projet s'inscrit par
ailleurs dans la philosophie volontariste prônée par Antonelli et Briand.
N'imposant rien aux entreprises déjà formées ou en cours de formation,
il prévoit simplement des « immunités fiscales » en faveur des sociétés

37. antoneLLi E., Les actions [...], op. cit., p. 140-141.
38. Selon Antonelli, le groupement ouvrier fait tout d'abord un apport estimable en argent,
l'apport travail, indispensable au « fonctionnement de l'entreprise ». Il participe ensuite
aux pertes et aux bénéfices à proportion dudit apport. Il a enfin l'affectio societatis dans la
mesure où tout le système envisagé repose « sur ce sentiment de copropriété » (ibid., p. 143).

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