Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 52

LE TEMPS DE LA LOI

lui, à gonfler artificiellement le crédit de la société et à induire en erreur ses
créanciers qui, en cas de faillite, se trouveront dans l'impossibilité de saisir
la valeur-travail afin de recouvrer leur dette. Tout au mieux concède-t-il
qu'il s'agit là d'un élément du fonds social qui pourrait être inscrit à côté
des autres éléments permettant le fonctionnement de l'entreprise (outils,
machines, bâtiments, etc.)46. Ernest Breton s'exprime lui aussi en faveur
de la conciliation du capital et du travail, mais considère que la participation aux bénéfices devrait toujours précéder la conversion en actionnariat
ouvrier. En l'état, la loi du 26 avril 1917 lui paraît relever de la « littérature législative »47. Enfin, Pic et Escarra souscrivent au « principe de la
réforme »48 : il est selon eux « incontestablement juste »49. Le premier ne
voit d'ailleurs en elle qu'un complément à la loi de 1915 sur les sociétés
coopératives ouvrières de production et de crédit au travail. Toutefois, la
comparaison entre les deux formes sociales ne conduit toujours pas Pic à
l'optimisme, car il craint que les fondateurs d'une SAPO s'arrangent pour
ne conférer qu'un nombre réduit d'actions de travail afin de s'assurer son
contrôle50, ce qui ne peut avoir lieu avec la SCOP51. Il s'inquiète aussi d'un
interventionnisme accru pour le cas où les sociétés existantes ignoreraient
la loi de 1917 en s'obstinant à conserver la « forme ancienne, purement
capitaliste »52. Les juristes sont en effet nombreux à redouter que la réforme
Chéron ne constitue qu'une première étape visant à préparer la suivante, à
savoir l'obligation faite par la loi de convertir toutes les sociétés anonymes
en SAPO53. Pic souscrit à l'opinion de « la majorité des commentateurs »,
46. Voir la préface de Louis-Jean Percerou à l'ouvrage de mourey H., Sociétés anonymes
à participation ouvrière et actions de travail, LGDJ, 1919, p. 3-4.
47. breton e., Les actions du travail, Imprimerie rennaise, 1919, p. 8 et 133.
48. PiC P., Traité général théorique et pratique de droit commercial. Des sociétés commerciales, A. Rousseau, 1926, 2e éd., t. 3, p. 596.
49. esCarra J., Manuel de droit commercial, Sirey, 1948, p. 540.
50. Il reprend d'ailleurs à son compte la critique de Rousseau quand il analyse la présence
de représentants de la coopérative de main-d'œuvre, au sein du conseil d'administration,
comme étant « antijuridique ». Leur « intérêt personnel » est « nul » selon Pic et leur « responsabilité illusoire ». Or, ils vont pouvoir siéger « aux côtés d'administrateurs » dont la responsabilité résulte de ce qu'ils ont « mis dans l'affaire le plus clair de leur fortune ». Les seconds
auraient donc, à la différence des premiers, « pour objectif primordial de gérer avec prudence
les capitaux qui leur sont confiés » (PiC P., Traité général théorique et pratique de droit
commercial, op. cit., p. 592).
51. La loi du 18 décembre 1915 prévoit en effet qu'une « majorité des deux tiers au
minimum est légalement assurée, dans le conseil d'administration, aux sociétaires ouvriers
ou employés, quelle que soit l'importance du capital engagé dans l'affaire » (ibid., p. 586).
52. Ibid., p. 596.
53. À l'issue de la seconde guerre, une commission de réforme est constituée afin d'adapter
le droit des sociétés aux besoins nouveaux. Les propositions qui sont formulées en son sein
confirment en partie les craintes exprimées par la doctrine. Claire Saunier, alors membre du
Conseil de la République, propose en effet d'aller plus loin que la loi de 1917 parce qu'elle

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