Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 72

LE TEMPS DE LA LOI

Même si toute définition exhaustive du différend collectif est impossible,
le cadre est néanmoins beaucoup plus précis : l'élément commun qu'on
retrouve dans toutes les décisions de la Cour supérieure d'arbitrage, est que
le différend, pour être collectif, doit porter sur des droits ou des intérêts
d'un groupement quelconque de travailleurs (licenciement d'un délégué
du personnel, licenciement d'un ouvrier syndiqué, etc.).
Tous ces exemples montrent qu'il n'a jamais été question de faire des
délégués du personnel ou des syndiqués des catégories « d'intouchables »,
mais de bien distinguer ce qui relève de la fonction de délégué, qui doit être
protégée, de ce qui n'est qu'un acte accompli par un salarié dans le cadre de
son emploi, et qui peut être constitutif d'une faute professionnelle. Dans ce
cas, il peut arriver que des licenciements effectués simultanément donnent
naissance à un conflit collectif, car ce sont des licenciements prononcés pour
fautes personnelles imputables à chaque individu. De même, pour qu'on
puisse considérer qu'un lock-out donne naissance à un conflit collectif,
il faut que la fermeture de l'établissement soit motivée par un désaccord
avec le personnel et non par les conditions économiques de l'entreprise29.
Une autre question importante relative à la compétence arbitrale a été
de savoir quelle est la place de la grève dans les conflits du travail et s'il est
possible de recourir à l'arbitrage lorsqu'une grève a déjà éclaté. L'article 1
de la loi du 31 décembre 1936 spécifie que « dans l'industrie et le commerce,
tous les différends collectifs du travail doivent être soumis aux procédures
de conciliation et d'arbitrage avant toute grève, ou tout lock-out ». Plusieurs
arbitres ont déduit de cette disposition que les procédures de conciliation et
d'arbitrage ne peuvent pas être mises en jeu lorsqu'une grève est en cours,
ou qu'elles doivent être interrompues si une grève vient à être déclarée avant
leur achèvement. Ce point de vue, qui a été soutenu par les parties patronales, a été longuement exposé par Philippe Fargeaud30. Le 16 mai 1938
(affaire Costa, n° 81), la Cour supérieure d'arbitrage a décidé que la survenance d'une grève dans une entreprise n'a pas pour effet de rendre illégale
la continuation de la procédure de conciliation et d'arbitrage jusqu'à la
solution du différend. La Cour a suivi les conclusions de son commissaire
du gouvernement, Pierre Tissier, qui a démontré que si le législateur a voulu
sans aucun doute substituer les procédures de conciliation et d'arbitrage à
la grève, il n'a pas pour autant porté atteinte à la reconnaissance du droit
de grève. La grève, en elle-même et abstraction faite des violences qui
peuvent l'accompagner et qui sont seules sanctionnées par les nouveaux
articles 414 et 415 du Code pénal, n'est plus aujourd'hui un délit lorsqu'elle
n'a pour objet que la défense des intérêts professionnels »31. Voici donc,
poursuit le commissaire du gouvernement, les principes posés : d'une part le
29. 15 juin 1938, n° 56 ; 11 juillet 1938, n° 391.
30. Dans un ouvrage intitulé Application des nouvelles lois sociales, Plon, 1938, p. 98 et s.
31. Conclusions Tissier, Dr. soc., 1938, p. 248-249.

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