Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 96

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LE TEMPS DES INSTITUTIONS

selon laquelle la législation édictée en matière de relation de travail aurait
contribué à mettre en relief, beaucoup plus nettement que précédemment,
la place du juge comme instance privilégiée de régulation sociale. À ce titre,
nul autre projet n'aura autant exposé la magistrature au regard des principales composantes de la société française que celui relatif à la réparation des
accidents du travail dont l'aboutissement législatif, après quelque vingt ans
de débat, est la loi du 9 avril 1898.
Les propositions en la matière, d'abord portées à l'Assemblée par
la voix d'un ancien ouvrier maçon, Martin Nadaud, ont fortement
contribué à focaliser l'attention publique sur l'action de la magistrature.
L'infléchissement de la jurisprudence dans le sens d'un assouplissement
des rigidités nées de l'application rigoureuse de l'article 1382 du Code civil
aux ouvriers victimes d'accidents - qui étaient tenus de rapporter la preuve
de la faute commise par le patron -, est à l'origine d'une réévaluation très
nette de l'action des magistrats. Comme le relève en 1900 l'auteur d'une
thèse consacrée aux fondements de la responsabilité en matière d'accidents
du travail - saluant à cette occasion la sensibilité des magistrats français
à « l'influence des idées humanitaires » -, « en thèse générale, si l'ouvrier
doit toujours établir une faute du patron, cette preuve lui sera facilitée
par la tendance des juges à relever les moindres actes de ce dernier, petite
négligence de surveillance, inobservation de précautions de sécurité souvent
difficiles, quelquefois impraticables, pour le rendre responsable dans des
hypothèses où le plus souvent il n'y a pas véritablement de fait coupable
et d'application réelle de l'article 1382 »13.
Un autre élément dans ce très riche débat contribue tout aussi efficacement à porter l'attention sur l'action des juges dans ce domaine et à
souligner le caractère éminemment bénéfique de leur intervention en vue
de l'indemnisation des ouvriers victimes d'accidents du travail. En effet, la
perspective d'introduire dans le droit français le principe de la responsabilité
professionnelle fondée sur le risque et de lui associer une indemnisation
forfaitaire contribue à une réévaluation rétrospective du rôle traditionnellement imparti à la magistrature. « À la libre appréciation des tribunaux
qui avait paru jusqu'à présent constituer le principe le plus tutélaire à offrir
aux justiciables, regrette ainsi publiquement René Béranger à la tribune du
Sénat, à la libre appréciation qui permet de régler exactement l'indemnité
sur les particularités toujours si variables du fait et du dommage subi,
vous substituez un forfait, vous faites du magistrat, comme on l'a dit, un
magistrat machine, car vous l'obligez à appliquer une tarification à laquelle
il ne peut rien changer. Il n'a plus à se demander quel est le dommage
13. eyCken P., Du fondement de la responsabilité patronale en matière d'accidents de
travail, Masson, 1900, p. 41.
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